Moments
marquants de l´histoire
des studios d´enregistrement
à
Montréal et liens avec l´évolution de
l´industrie du disque
1980-2005
Avènement
de l´ère numérique et changement de vocation des
studios
Textes, recherches,
numérisation, photographies, édition et entrevues
réalisés
par Christian Lewis
1980
à 1990
La
crise de la chanson ébranle l’industrie
québécoise. Le marché se fragmente. Une
émergence de coopératives puis de producteurs
indépendants se manifeste suite à
la baisse des tarifs en studio. Les chaînes de vidéoclips
transforment le
visage de l’industrie.
Au
début des années 1980, le Studio d’André Perry
à Morin Heights attire les plus
grands noms de la musique populaire anglo-saxonne, grâce à
la qualité des
équipements et services offerts. Perry acquiert l'une des
premières consoles de
mixage automatique avec 48 pistes, afin de répondre aux
exigences élevées des
clients tels David Bowie, Cat Stevens, The Police… Daniel Lanois suivra
ses
traces. Au milieu des années 1980, le studio de Perry devint
aussi un complexe
de production vidéo et de postproduction de films, tendance qui
sera suivi par
plusieurs grands studios de Montréal. Marko emboîte le pas
ainsi que le Studio
La Majeure au centre-ville de Montréal, opéré par
le preneur de son Luc
Fontaine. Chez Marko, on acquiert le premier système
d´enregistrement numérique
à Montréal.
À
l´inverse, des studios aux dimensions modestes trouvent un
créneau dans les
musiques spécialisées. Robert Langlois, par exemple,
ouvrira le studio 270 en
1986, d´abord fréquenté par des artistes de musique
actuelle, soucieux d´une
démarche expérimentale. Ce genre de studio offre une
alternative moins coûteuse aux musiciens ayant une
démarche plus expérimentale. Pour
compenser, les
techniciens ne disposant pas d´équipements aussi
performants doivent faire
preuve d´ingéniosité.

Studio 270, 2006
Des
regroupements de musiciens tels que Conventum, Ambiances
magnétiques, le
Sonographe (branche du Vidéographe) et Lunatic Asylum / Ondes de
choc ont uni
leurs forces afin de démocratiser l´accès aux
studios et d´enregistrer des
musiques plus spécialisées. Certains, tels Lunatic Asylum
et le Sonographe,
fonctionnent à la manière d'un studio communautaire,
enregistrant des artistes
émergents de la scène alternative, dont Michel Faubert,
Marie Savard et Camel Clutch.
Ce
phénomène a vu le jour en musique alternative et en
musique actuelle. La
philosophie du «Do It Yourself» a influencé
l'avènement de l'autoproduction,
et ce, à toutes les étapes (de l'enregistrement à
la mise en marché). À
Montréal, cette attitude de responsabilisation du milieu de la
musique
alternative a d'abord été adoptée dans le milieu
anglophone, vers 1976,
puis cinq ans plus tard dans le milieu francophone. Le matériel
d'occasion, plus abordable, favorise l´émergence de
plusieurs studios
indépendants ainsi qu´une bonne accessibilité des
studios.
SNB
devient peu à peu une des compagnies de
matriçage (mastering) les plus importantes,
parmi les trois meilleures en Amérique du Nord. Les derniers
appareils de
gravure de disques en vinyle sont nettement plus automatisés
qu´avant. L´avènement
du disque audionumérique transforme le métier de graveur.
La gravure
disparaît peu à peu. Le mastering devient de plus
en plus sophistiqué. D´abord
conçu pour réduire le bruit de
fond, le mastering ajoute maintenant un vernis au mixage
final. Il permet des
ajustements globaux pour assurer la cohérence de niveaux, de
l´égalisation et
des autres paramètres à l´ensemble du disque. Renée
Marcaurelle a acquis une solide
réputation dans le domaine. SNB possède un espace
acoustique de haut calibre et des
technologies de transfert numérique à la fine pointe.
L´usine de pressage des
disques audionumériques n´altère plus le son obtenu
après le mastering,
contrairement à la période analogique.
 
Salle de matriçage et console
Neve AB chez London en 1982
Salle
de matriçage chez
SNB en 1982
Archives personnelles d'Émile Lépine
1982
591
microsillons ont été lancés sur le marché
québécois ; 15,5 millions de
disques ont été pressés au Québec dont 12
millions de vendus.
1985
à 1990
Les
maisons de disques locales prennent la part de près de 80% du
marché québécois,
laissant à peine 20% aux multinationales
(phénomène assez unique dans le monde
occidental, où généralement les multinationales
contrôlent la grande part du
marché).
Selon
Statistique Canada, environ 85 p. cent des foyers canadiens à la
fin des années
1980 possédaient un appareil de reproduction sonore (lecteur de CD, disque ou bande).
Suite
à la vente de RCA à General Electric en 1985 et à
BMG, puis celle de la
production aux consommateurs à Thomson-France en 1987, cette
restructuration
précipite la fermeture de l´usine à
Montréal, qui avait vu le jour avec
Berliner.
1986
circa
Serge
Lacroix, chef ingénieur du son au studio Marko, a acquis le
premier système
numérique d´enregistrement fonctionnel à
Montréal. Le système Opus huit pistes se
vendait environ 250,000$ à l´époque.
1989
circa
Fondation
du studio Karisma par Stéphane Morency, anciennement du studio
Pélo, et par
Marcel Gouin, du studio installé au Spectrum. Comme dans le cas
de plusieurs
studios renommés, plusieurs tests sont faits
périodiquement pour améliorer les
constituantes de la chaîne d´enregistrement : conductivité
des câbles, taux d´échantillonnage et
résolution de plus en plus élevé,
atteignant 384 kHz en 24 octets (bits),
amélioration de l´acoustique,
emplacement des microphones dans la salle d´enregistrement et des
sources dans
la salle de matriçage (mastering). Des nouveaux services
émergent pour
contrer l´arrivée des studios domestiques : chez Karisma,
une salle de
matriçage avec des équipements de pointe est ouverte aux
musiciens, afin de
compléter et d´améliorer une session amorcée
ailleurs.
1990
à 2000
Grâce
à l'intégration d'échantillonnages et de boucles
superposés (loops), la
sonorisation des spectacles du Cirque du Soleil a fait preuve
d´un sens de
l´innovation, permettant une synchronisation entre des
éléments préenregistrés
et les imprévus des performances des acrobates. La conception
sonore des spectacles
de Céline Dion intègre aussi depuis le milieu des
années 1990 ces techniques
d´interaction entre les musiciens sur scène et les
éléments préenregistrés
donnant l´illusion de textures orchestrales, ainsi que des
performances
sonores et
audiovisuelles réglées au quart de tour. La
réputation des techniciens de son
québécois est enviable partout en Amérique et en
Europe.
Il
n´y a pas que les installations
complexes de sonorisation qui font la notoriété des
techniciens de Montréal.
L´importance de la chanson a façonné un son propre
aux productions québécoises,
à mi-chemin entre le son anglo-saxon où la musique est
à l´avant-plan et le son
français où la voix est à l´avant-plan.
Avec
l´avènement de la technologie numérique, plusieurs
studios de réalisateurs voient le
jour, sans espace
consacré à l´enregistrement sonore. Suite
à la
démocratisation des équipements, les musiciens aussi
acquièrent des studios domestiques.
Les studios professionnels s´adaptent en offrant des espaces avec
une acoustique
de grande qualité, des
services de postproduction et de matriçage (mastering),
et des
techniciens qualifiés. Le studio Saint-Urbain, ouvert en 2004,
suit cette
logique. Il compte sur la formation à l´Université
McGill des trois associés,
dont le doyen André White, qui y a enseigné, et sur leurs
sensibilités de
musiciens à l´écoute des besoins des clients. White
est un batteur de jazz qui
a joué avec Sonny Greenwich. Le rôle du preneur de son en
musique spécialisée change radicalement avec
l´émergence des productions
indépendantes gérées par
les musiciens eux-mêmes : le technicien suggère et
conseille plutôt que
d´imposer. En musique commerciale ou chez les producteurs plus
structurés, le
réalisateur est encore très actif, effectuant le choix
des musiciens, du
répertoire, de l´équipe technique, du
répertoire et du concept musical et
graphique. Selon les contextes, les divers rôles peuvent
être assumés par
plusieurs spécialistes ou un généraliste.
1991
à 1992
1083
nouveaux enregistrements avec un contenu canadien étaient
lancés sur le marché
canadien dont 327 productions en langue française. La part de
marché des
productions étrangères et nationales de musiques
populaires atteint plus de la
moitié, la musique classique près de 20%, de même
que le jazz et les autres
genres spécialisés.
1991
Hans
Peter Strobl, mixeur et ingénieur du son au studio Marko, a
intégré un nouveau
système de montage sonore et de postproduction pour le
cinéma pour remplacer
l´ancien système analogique et le travail sur ruban. Le
montage sur vidéo et le
système numérique appliqué intégralement
plus tard ont grandement amélioré les
services en terme de rapidité et de flexibilité. Pour
offrir ces nouveaux
services, Marko a acquis l´ancien studio d´André
Perry à Montréal (Son Québec)
sur Amherst.
1998
1023
nouveaux enregistrements avec un contenu canadien étaient
lancés sur le marché
canadien dont 159 productions en langue française. La part de
marché des
productions étrangères et nationales de musiques
populaires atteint 43%, la
musique classique près de 25%, le jazz et les autres genres
spécialisés, plus
de 30%. Entre 1998 et 2000, les ventes des étiquettes de blues
et de jazz au
Canada ont augmenté de 45%, alors que les étiquettes des
autres genres ont subi
des baisses de vente.
1999
Mise
en marché du DVD audio avec un taux
d´échantillonnage plus élevé que le CD et
la possibilité d´être diffusé sur six canaux.
Un format compétiteur voit le jour
la même année, soit le SACD (Super Audio CD)
avec un type d´échantillonnage émettant des ondes
sonores se rapprochant de
l´analogique. Sauf pour les clientèles de musiques
spécialisées, ces deux formats
ne semblent pas prendre leur envol, d´une part à cause de
l´arrivée à la fin
des années 1990 des graveurs de CD puis des fichiers MP3 (ou
autres formats
compressés). Ce premier type de support immatériel est
téléchargé plus ou moins
légalement sur le réseau Internet et écouté
soit sur un ordinateur ou sur des
appareils portatifs fonctionnant avec des unités ou des cartes
de mémoire. La
qualité sonore de ces systèmes est nettement
inférieure, mais la grande
disponibilité des titres attire irrémédiablement
les nouvelles clientèles,
souvent au détriment des droits d´auteur. La hausse
exponentielle des capacités
de mémoire et des taux de transfert permettra dans un avenir
rapproché de
télécharger des fichiers non-compressés sur une
base régulière. Les modèles de
l´industrie de l´enregistrement sonore devront se
renouveler complètement.
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Liens vers des
extraits d´entrevues
et images
* Photographies des
collections de la Phonothèque québécoise, de
Bibliothèque et Archives
nationales du Québec, des archives des studios et des archives
personnelles des
invités

Studio Marko, 2006
Désuétude
rapide des premiers équipements numériques
(1´36´´) – Bernard Grenon, enregistré en 2006
Studio 270, 2006
Arrivée
des équipements semi-professionnels dans les années 1970
dédiés à des studios
indépendants
(1´42´´) – Stéphane Morency, enregistré
en 2006
Qualité
remarquable de la salle de matriçage (mastering) SNB à
Montréal
(28´´) – Ian Terry, enregistré en 2006
Évolution
du matriçage (mastering) de la gravure à la
post-production
(1´19´´) – Émile
Lépine, enregistré en 2006
Magnétophone
Studer A80 utilisé chez London en 1982
Archives personnelles d'Émile Lépine

Salle
de bruitage du studio
Marko, 2006


Studio
Karisma, 2006
Réflecteurs
vissés à des microphones pour équilibrer
naturellement les
divers registres de fréquences
(1´04´´)
– Jean-Pierre Loiselle, enregistré en 2006
Distinction
entre un studio professionnel et un studio de réalisateur
(1´49´´) – Bernard Grenon et Robert Langlois,
enregistré en 2006
Acquisition
du studio Son Québec par Marko et changement de vocation
(1´04´´) – Martin Cazes,
enregistré en 2006
Lente
progression de la qualité sonore des équipements
numériques et
baisse de la qualité avec les formats compressés MP3
(1´38´´) – Ian Terry, enregistré en 2006
* Photographies des
collections de la Phonothèque québécoise, de
Bibliothèque et Archives
nationales du Québec, des archives des studios et des archives
personnelles des
invités
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