Moments
marquants de l´histoire
des studios d´enregistrement
à
Montréal et liens avec l´évolution de
l´industrie du disque
1940-1960
Cohabitation
des studios d´enregistrement et de radio à
l´ère magnétique
Textes,
recherches,
numérisation, photographies, édition et entrevues
réalisés
par Christian Lewis
1940
à 1950
Durant
cette décennie, RCA Victor, bien que devancé par Starr
dans la production
locale, dominera le marché du disque au Québec avec des
artistes américains et
français. La guerre coupa certains ponts avec la France, ce qui
donna un élan
aux artistes d’ici. Des nouveaux noms émergent, dont le soldat
Lebrun, appuyé
par l’armée canadienne. RCA misera sur des artistes populaires
à la radio, tels
Alys Robi, Muriel Millard, Robert L’Herbier, Lucille Dumont, Jacques
Normand,
Fernand Robidoux et Lise Roy.
À
la fin des années 1940, Decca, un nouveau joueur au
Québec, publiera sur
étiquette London des artistes d’ici dont le Trio lyrique,
Jacques Labrecque et
Fernand Robidoux. D’autres compagnies emboîteront le pas :
Polydor
(Rollande Désormeaux et Félix Leclerc), Musicana (Muriel
Millard et Jacques
Labrecque), Maple Leaf (Jeanne d’Arc Charlebois, Estelle Caron et le
pianiste
de jazz Paul Bley) et Rodeo Records (musique country).
La
fondation de la maison de distribution Select a eu lieu après la
Seconde guerre
mondiale, afin de distribuer au Québec des exclusivités
produites en Europe des
compagnies Philips, Pathé, Le Chant du monde, Festival, Erato et
Studio SM. La
famille Archambault a mis sur pied un réseau de distribution
très présent dans
les maisons d´enseignement. L'entreprise a par la suite
créé l'étiquette
Alouette, produisant des artistes locaux de country, de musique
populaire, de
folklore et de musique pour enfants.
L’après-guerre
voit l’apparition de microphones à condensateur, dont le AK 2,
qui améliorent
grandement le rendu sonore. En 1958, le microphone à
condensateur arrive à la
radio en même temps que les transistors. Les fragiles microphones
à ruban, encore utilisés aujourd´hui pour la
douceur de la résultante sonore, sont largement employés à
l´époque.
1943
Un
vaste studio à la fine pointe de la technologie de
l’époque est construit par
RCA Victor à Saint-Henri, dans un
local adjacent à l’usine. Ce studio, doyen des studios à
Montréal
encore en opération, est
doté d’une excellente acoustique, grâce à des
panneaux en bois ondulés. Il
s’agit de l’actuel studio Victor, toujours en opération, qui
abrite aussi le
Musée des ondes Berliner consacré aux appareils de
reproduction et
d’enregistrement sonore. Ce studio a été
détourné de
sa fonction première de 1958 à 1985, servant alors de
lieu pour
la conception d´un satellite, puis d´entrepôt chez
RCA.
Avant de se lancer dans la
revitalisation de ce studio en 1985, les frères Pilon ont fondé
au
début des années 1980 le studio Son Soleil
à
Saint-Henri, dans un sous-sol. Le nouveau studio Victor a acquis une
réputation
enviable, notamment dans les enregistrements qui exigent une acoustique
de
qualité optimale.
1944
Des
disques en vinylite sont pressés chez Compo à
Montréal, avant l´arrivée du
microsillon.
1946
Willie
Lamothe débute sa carrière sur disque chez RCA. Les
succès de Perry Como
poussent les compagnies d’ici à publier de la musique country.
D’autres
vedettes du genre se distinguent : Paul Brunelle, pour RCA, Marcel
Martel
et Paul-Émile Piché pour Starr. Ces artistes devaient
développer une certaine
polyvalence et une habilité à travailler sous pression.
Willie Lamothe enregistrait
des jingles en direct à la radio (CKVL) dans les
années 1950, ce qui
serait impensable aujourd´hui.
1947
Le
Service international de Radio-Canada inaugure une série
d´album pour la
promotion de la musique canadienne à l’étranger (œuvres
de Claude Champagne,
Jean Coulthard, Clermont Pépin, Maurice Blackburn, Pierre
Mercure, Jean
Papineau-Couture) ; quelques interprètes canadiens de renom
ont enregistré
pour Radio-Canada International : Glenn Gould, Pierrette Alarie,
Léopold
Simoneau, Maureen Forrester…
1947
Columbia
reprend l’idée de RCA Victor, en mettant sur le marché,
avec une technologie
améliorée, les disques 33 tours à longue
durée.
 
Pochette
des débuts du disque 33 tours
1948
Jean-Marc
Audet, ancien employé de CKAC, fonde le studio Marko, pouvant
accueillir un
orchestre, au coin de Sainte-Catherine et de la Montagne. Il
s´était procuré un
des premiers magnétophones à Montréal pour son
studio mobile. Il s´est
spécialisé
par la suite dans les
enregistrements de publicité. Marko est
déménagé en
1967 sur la rue La
Gauchetière, dans un
des premiers studios
privés à bénéficier d´un immeuble
conçu spécifiquement pour l´enregistrement
(insonorisation
intégrale des bruits de l´extérieur et bonne
acoustique à l´intérieur). RCA,
devant répondre à des besoins grandissants, avait
construit ce studio
auparavant selon ses normes (les plans étaient reproduits un peu
partout dans
le monde). Des conques convexes, similaires à celles du studio
Victor, sont encore
présentes.
Félix Leclerc a enregistré chez Marko un de ses premiers disques, Le
P´tit train du
Nord.
  
studios de RCA à Montréal en 1948 (circa)
Collections
de Bibliothèque et
Archives nationales du Québec, Fonds Conrad Poirier
1948
(circa)
Le
studio Layton Brothers, au 1170 de la rue Sainte-Catherine Ouest, offre
aux musiciens l'alternative moins coûteuse de graver
les enregistrements directement sur le disque. Le
résultat n´est toutefois
pas
aussi professionnel.
L´ingénieur du son de ce
studio, John Bradley, devient responsable du matriçage
(mastering) chez
Compo à
Lachine, puis chez London à Montréal. Il acquiert à
New York un
magnétophone Ampex, en même temps que Jean-Marc Audet.
Bradley avait
travaillé auparavant
pour les fils de Berliner dans les années 1930.
1948
Le
guitariste américain Les Paul reprend l’idée de
l’enregistrement multipiste de
Sydney Bechet. Il pense à ajouter une quatrième
tête de lecture à un
magnétophone, ce qui lui permet de jouer lui-même
plusieurs pistes. Avec sa
conjointe, la chanteuse Mary Ford, il créera des couches de son
donnant une
nouvelle sonorité au médium disque. Au préalable,
il a conçu des amplificateurs
pour sa guitare et un célèbre modèle de guitare,
ancêtre de la guitare
électrique, qui fera sa renommée.
1949
Jos
Champagne, preneur de son à l´Office national du film
(ONF) utilise un matériel
amplement allégé grâce à la bande
magnétique. Avant le son était enregistré sur
une bande optique. L´ONF permettra l´expérimentation
de la synchronisation
entre la caméra et le magnétophone dans les années 1950, ce qui
mènera au cinéma direct
un peu plus tard. Les microphones sans fil augmenteront
l´autonomie.
1949
RCA
Victor lance le 45 tours, dont ses séries en vinyle rouge,
jaune
ou vert. La
perforation au centre est nettement plus grande. Ce format est d’abord
conçu
pour
concurrencer le 33 tours. RCA adoptera le disque 33 tours pour la musique
classique, et
destinera le 45 tours aux succès populaires.
 
Disque et coffret 45 tours RCA Victor
1949
Premier
palmarès de disques publié au Québec par la revue Radio 49, fondée par Robert
L’Herbier et Fernand Robidoux. Ces deux collaborateurs organisent un
Grand prix
de la chanson peu de temps après. Fernand Robidoux enregistre du
répertoire
québécois (dont une chanson de Raymond Lévesque)
dans les studios Decca /
London en Angleterre (où
travaillait Jacques Labrecque).
Il brise
une entente
avec RCA Victor qui refusait d’enregistrer des chansons
québécoises, préférant
imposer des adaptations de succès américain ou
français. Variety’s
aux
États-Unis publiait un palmarès depuis 1921.
1949
100,000
disques de la chanson folklorique Les fraises et les framboises
du trio
Soucy sont vendus, ce qui constitue une première.
1950
à 1960
La demande
commence à se diversifier avec le boom
économique de l’après-guerre et l’affirmation d’une
génération qui s’imprègne à
fond de la société de consommation. Entre 1950 et 1960, 18 nouvelles
étiquettes se disputent le marché
québécois.
Lors
de cette décade, RCA Victor ouvrira un autre studio, à
proximité de l´actuel
station de métro Guy-Concordia, consacré à
l´enregistrement de la musique
populaire et à la publicité. L´essor de
l´entreprise à Montréal se poursuit,
obligeant en 1967 la compagnie à construire un autre
studio à la fine pointe des développements acoustiques et
techniques, sur la rue La
Gauchetière. RCA
acquiert un magnétophone Ampex 350 trois pistes. RCA continue
d´être la pierre
angulaire de l´industrie du disque, offrant des services de
gravure, de matriçage (mastering)
et de pressage, contrairement aux autres studios concurrents. Lionel
Parent fut un des graveurs renommés chez RCA.
Des
petits détaillants tels que Bouthillier sur la rue
Saint-Hubert près de Beaubien offrent des services de
transcriptions de disques
discontinués, à petite échelle, sous
l´étiquette Rythmes. Celle-ci se font sur
des appareils Presto, puis, à la fin des années 1950,
à l´aide d´un
magnétophone. Parfois un artiste débutant fait graver 100
copies chez
Bouthillier. L´acétate est envoyé chez Compo pour
le pressage.
Voir section PROCÉDÉ
DE GRAVURE DES DISQUES
 
 


  
Étapes de fabrication d'un disque à l'usine de pressage
RCA en 1948
Collections de Bibliothèque et
Archives nationales du Québec, Fonds Conrad Poirier
1951
Herbert
Berliner vend Compo à Decca. Plus tard, en 1963, MCA fera
l’acquisition de
Decca et déménagera les activités de l´usine
Compo à Cornwall en Ontario.
1955
Carl
Weismann obtient un succès en publiant la chanson Jingle
Bells interprétée par des
chiens, en jouant sur la vitesse de défilement de la bande, en
réenregistrant
et en faisant un travail de montage. Ce travail de studio prendra de
plus en
plus d’ampleur en musique populaire dans les années 1960,
créant de nouveaux
genres musicaux. Dès 1948, les expérimentations de
musique concrète (sons et
bruits enregistrés sur un support, traités de diverses
manières en studio) de
Pierre Schaeffer et de Pierre Henry, et les expériences de
Karlheinz
Stockhausen en musique électronique, posent les premiers jalons
de procédés
repris ultérieurement dans les studios (dont ceux
utilisés par les musiciens
rock). Le groupe «The Beatles», aidé par l’ingénieur George Martin constitue
l’un des
premiers aboutissements de
ces techniques, en terme d’impact populaire et d’innovations. Les
expériences
de Phil Spector ont aussi influencé le travail en studio de
certains
enregistrements des Beatles.
1955
Arrivée
de la maison London (nom américain de
la maison britannique Decca) à
Montréal,
d´abord à titre de distributeur sur la rue
Sainte-Catherine de produits
étrangers et locaux. London traite notamment avec les compagnies
Philips-France, DSP,
Jupiter et Select notamment. En 1959, devant la vitalité de
l´industrie de
l´enregistrement sonore à Montréal, London installe
une usine de pressage et de matriçage (mastering) qui
fait concurrence
à RCA.
Paul-Émile Mongeau, anciennement
du studio Stereo Sound, est en charge de la gravure et du
matriçage (mastering).
Émile Lépine lui succédera de 1965 à 1982. Plus tard, il enseignera ce métier chez Trebas.
Les systèmes de gravure (tours à disques,
amplificateurs, burins,
consoles) utilisés à Montréal sont construits
à l´étranger par les compagnies
Neumann, Decca, Neve, RCA, Scully et Westrex.
C´est
un travail très précis, qui demande à être
très vigilant lors des variations
brusques de fréquences. Il faut un produit parfait, car la
matrice sert à la multiplication à grande échelle.
Le
matriçage
(mastering) peut se
définir comme un gramophone à l'envers, où le son
est envoyé dans le disque par
un burin qui vibre dans le sillon en fonction de l'amplitude.
Selon
Jean-Paul Séguin, ouvrier et syndicaliste à l'usine RCA
Victor à Montréal, le
département disques fonctionnait jour et nuit. Il y a de 25
à 30 presses. 1000
à 1200 disques par jour sont produites pour chaque presse
assignée à une
personne. On travaille à la pièce et non à
l'heure, ce qui rend l´emploi très
exigeant et dur, car il fait très chaud l'été (on
donne des pilules de sel pour
la perte en transpiration). On procède par lot, qui varie de 50
à plusieurs
milliers de disques. Il peut y avoir de sept à huit changements
de
matrices par jour.
1955
Mise
en marché par Ampex du premier magnétophone
stéréophonique domestique.
1955
Avant
1955, la plupart des interprètes canadiens de musique classique
enregistrent à
l’étranger pour des multinationales (Columbia, Capitol, Decca,
EMI, London,
RCA) ; après 1955, quelques labels canadiens offrent une
tribune pour les
interprètes classiques d’ici (Acadia, BAR, Baroque, CAB – CAPAC,
CRI, Dominion,
JMC, LAB, Madrigal, Radio-Canada International, Select).
1956
Au-delà
des succès d’estime des chansonniers, un nouveau
phénomène va propulser
l’industrie du disque au Québec : l´influence de la
télévision. En 1956,
Robert L’Herbier organisa le premier concours de la chanson canadienne
diffusée
à la télévision de Radio-Canada. Devant le
succès, des producteurs de disques,
dont le gérant de Michel Louvain, Yvan Dufresne et Denis Pantis, vont encourager des artistes
locaux à adapter des musiques en vogue, essentiellement des
succès américains
(romances de crooner, danses américaines et sud-
américaines, rock’n
roll, yé-yé …).
L´étiquette
Apex français succède à l'étiquette Starr,
suite à l´acquisition de la Compo
par la Decca, cinq ans auparavant. Yvan Dufresne, producteur, devient
responsable
du secteur français chez Apex. Il produit plusieurs artistes
à succès des
années 1960, dont Pierre Lalonde, Ginette Reno et les Hou-Lops.
Les catalogues
Starr et Apex seront édités sur l'étiquette
Carnaval.
Les
compagnies québécoises Franco-Disques et Trans-Canada
proposent plusieurs
adaptations, à la recherche de la réussite commerciale.
Les premiers artistes
d'ici à chanter des versions françaises de rock´n
roll sont Carmen Déziel en
1956 (adaptation de Blue Suede Shoes) et André Lejeune en 1957;
Marcel Martel
enregistre en 1957 les premières compositions françaises
de rock´n roll. Entre
1950 et 1960, 18 nouvelles étiquettes se disputent le
marché québécois. Le
marché du disque québécois s´organise et
pour la première fois consolide une
industrie avec tous les chaînons (gérant, studios,
compagnies de disques,
distribution…). Les Sinners, la Révolution française et
Michel Pagliaro dans
les années 1960 sont parmi les pionniers d´un son rock
moins édulcoré.
1958
Les
formats 33 tours et 78 tours se partagent également la part du
marché à
Montréal. En 1965, le 78 tours est quasiment disparu. Le format
45 tours se
taille une part du marché atteignant 50% des ventes environ.
1959
Archambault,
disquaire montréalais depuis le début du siècle,
produit des disques d’artistes
d’ici dès 1959 (maison de production et de distribution Select).
|
Liens vers des
extraits d´entrevues
et images
* Photographies des
collections de la Phonothèque québécoise, de
Bibliothèque et Archives
nationales du Québec, des archives des studios et des archives
personnelles des
invités

Disque RCA Victor de
Jacques Normand
Émergenge
d´un véritable distributeur au Québec (Select) et
aide financière
gouvernementale (Musicaction)
(1´30´´) - Gilles Valiquette, enregistré en
2006

Microphone
à ruban
RCA 77

Studio Victor
Similitudes
entre les studios Marko et Victor conçus par RCA et nouveau
besoin
d´insonorisation
(1´32´´) – Martin Cazes, enregistré en 2006
Abandon
de l´ancien studio RCA transformé en entrepôt avant
la
revitalisation par le studio Victor
(53´´) – Michel Descombes, enregistré en 1993
Énergie
de l´enregistrement direct des publicités radiophoniques
(52´´)
– Martin Cazes, enregistré en 2006
Méthode
d´enregistrement en direct des publicités radiophoniques
chez Marko
(54´´)
– Martin Cazes,
enregistré en 2006

Pochette des débuts du disque 33 tours

Paroi ondulée du studio Marko conçu
par RCA

Plafond d'un autre studio conçu par RCA à
Montréal, devenu le studio Victor
Évocation
d´une séance d´enregistrement au studio Layton
Brothers en
1948 et acquisition d´un des premiers magnétophones
à Montréal par Jean-Marc
Audet, fondateur du studio Marko
(1´49´´) – David P. Leonard, enregistré en 2006
Avènement
du multipiste suite aux expériences de Les Paul
(1´14´´) – David P. Leonard, enregistré en 2006

Pochette d´un disque 45 tours de Les Paul
Simplicité
des bandes sonores avant l´arrivée des équipements
plus sophistiqués
(33´´) – Jean-Pierre
Joutel, enregistré en 2006
Stratégie
de mise en marché du 45 tours avec un graphisme rassurant
(1´49´´) - Paul
Martin (graphiste) et Christian Lewis

Coffret de 45 tours RCA Victor
Préparation
typique d´une séance d´enregistrement au studio RCA
au
milieu des années 1960
(1´40´´) - Bernard Tremblay, enregistré en
1993
Service
de gravure des disques offert par RCA aux studios montréalais
(1´16´´) – David P. Leonard, enregistré en 2006

Console Universal,
1950

Console RCA, 1954
 
Vérification et emballage des disque à l'usine de
pressage
RCA en 1948
Collections de Bibliothèque et
Archives nationales du Québec, Fonds Conrad Poirier

Usine de pressage London
en 1966
Pourcentage
des disques étrangers vendus au Québec et
phénomène des
adaptations des succès américains
– Tremblay, Bernard, (48’’ / 299K), enregistré en 1993
* Photographies des
collections de la Phonothèque québécoise, de
Bibliothèque et Archives
nationales du Québec, des archives des studios et des archives
personnelles des
invités |