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Historique de la radio anglophone |
traduction de Michelle Bachand et Jean Bernard
Publicité de Marconi (41 K)
Canadian Wireless, Juin 1922
- Voir aussi le texte Anecdotes
- Entendre les extraits sonores
Au
début des années 1920, les diffuseurs et les responsables
de l’éducation
discutèrent de l’utilisation de la radio en classe. Comme bien
peu d’écoles
possédaient une radio, certains manufacturiers de radios
prêtèrent des récepteurs
aux écoles, et quelques diffuseurs firent des émissions
tests en collaboration
avec des éducateurs. Cependant, les coûts en
équipement étaient élevés et
le programme scolaire posait parfois des problèmes. Une fois ces
problèmes
surmontés, les écoliers purent profiter des leçons
données grâce à la
radio en classe, et reçurent même les félicitations
de parents et
d’auditeurs qui appréciaient les chansons des enfants durant les
périodes
consacrées à la musique. (Coats, n. d., p. 288, trad.
libre)
Publicité de CFCF (175 K)
Canadian Wireless, 1922
Ce
commentaire est de Darby Coats, qui fut longtemps employé de la
Canadian
Marconi, une compagnie très active ici aux débuts de la
radio et dans
l’utilisation de ce média à des fins éducatives.
Si l’on replace cette
anecdote dans le contexte des débuts de la radio au Canada, on
se rend compte
que l’utilisation de la radio à l’école était une
façon pour Marconi de
vendre plus de récepteurs aux ménages canadiens. Au
début de son
autobiographie, intitulée Canada’s First Fifty Years of
Broadcasting and
Stories Stations Tell: Featuring the Pioneer Station XWA later given
the call
letters CFCF 1919-1969, Coats décrit avec fierté les
visites que faisaient
des écoliers à la station de radio et affirme que ces
sorties scolaires en ont
peut-être incité quelques-uns à faire
carrière à la radio (Coats, n. d., p. 31).
Mais les directeurs de Marconi savaient, eux, qu’après avoir
visité la
station, beaucoup d’enfants, de retour à la maison,
insisteraient pour que
leurs parents achètent une radio.
Coats
croyait que c’était le rôle de Marconi, en tant que
manufacturier de radios
et diffuseur, de montrer au public les avantages de ce média.
Il fallait que des gens ou des entreprises fassent connaître cette invention. Ainsi, comme on l’a dit, ce fut le privilège de la compagnie Canadian Marconi, de 1919 à 1922, de montrer comment fonctionnait la radio, chaque fois que c’était possible, avant que d’autres, au pays, ne commencent à le faire. (Coats, n. d., p. 40, trad. libre)
Publicités de Marconi (54 K)
Canadian Wireless, octobre 1921
On
comprend aisément pourquoi Coats parle de
« privilège ». Il est peu
probable que Marconi ait fait ces « démonstrations »
ou fourni de
l’information au public sans attendre en retour une certaine forme de
compensation financière.
Jusqu’aux
années 1920, les communications transatlantiques et marines, et
l’équipement
nécessaire à cette activité, était la
principale source de revenus de
Marconi (Hopkins, 1960, p. 5). La majeure partie du travail et des
expériences
de cette entreprise concernait donc « la communication d’un
point à un
autre plutôt que le divertissement radiodiffusé offert au
public en général
» (Hopkins, 1960, p. 21, trad. libre). Mais, au début des
années 1920,
Marconi commença à travailler à une programmation
de divertissement destinée
à l’ensemble de la population. Pourquoi la compagnie, qui
vendait de l’équipement
radio destinée aux communications, créait-elle une
station de radio qui nécessitait
des investissements importants ? D’où viendraient les revenus de
cette
station ?
La
radio (et ensuite la télévision) furent en fait
dès le début une question
d’affaires. Bien que Marconi ait soutenu l’idée que la radio
était un
service public, son but était d’abord de vendre des produits et
une
technologie. La station de radio CFCF fut mise sur pied pour donner aux
acheteurs de radio quelque chose à écouter. De la
même façon, la compagnie
mit sur pied Scientific Experimenter Ltd., qui vendait aux
amateurs le
matériel nécessaire pour construire un poste, et publia
son propre magazine de
radio, Canadian Wireless, pour stimuler l’intérêt
envers ce nouveau média.
Pour
comprendre la croissance de Marconi, il est important de
connaître la législation
canadienne du temps. Bien que la technologie de la communication sans
fil ait été
en usage au Canada dès 1900, le gouvernement
fédéral ne légiféra pas dans
ce domaine avant 1905 (Vipond, 1992, p. 5), année où fut
promulgué le Canadian
Wireless Telegraph Act, en grande partie calqué sur le Britain’s
Act
de 1904. La Grande-Bretagne avait adopté cette loi qui stipulait
que tous les
propriétaires de récepteurs devaient obtenir une licence
auprès du Bureau de
poste, bien que la communication radio sans fil soit aux mains du
secteur privé.
Ces licences étaient nécessaires, selon le
législateur, pour que les autorités
puissent empêcher
toute
information non autorisée de quitter le pays et prévenir
toute ingérence dans
les communications navales et pour mettre en vigueur toute entente sur
les
communications sans fil internationales que la Grande-Bretagne pourrait
conclure
(Vipond, 1992, p. 7, trad. libre).
Le
gouvernement avait envoyé le texte de loi au gouvernement
canadien en lui
recommandant de suivre l’exemple britannique. La seule
différence entre les
lois britannique et canadienne était que le contrôle, ici,
n’était pas
assuré par les Postes, mais par le ministère de la Marine
et des Pêcheries.
De plus, la loi canadienne s’appliquait tant aux individus qu’à
l’industrie (Vipond, 1992, p. 8).
En
1913, le gouvernement fédéral mit cette loi sur la
radiotélégraphie à jour.
On pouvait lire, à l’article 2(b) : « La
radiotélégraphie comprend
tout système sans fil pour l’envoi de signaux électriques
ou de messages,
incluant les radio-téléphones. » (Vipond,
1992, p. 9-10, trad. libre)
L’inclusion des radio-téléphones dans la loi donna au
gouvernement fédéral
le pouvoir de légiférer sur tous les aspects de la radio,
y compris la
radiodiffusion (Vipond, 1992, p. 10).
C’est
à l’Italien Guglielmo Marconi que l’on doit l’invention de la
téléphonie
sans fil, ou radio. Puisqu’il était incapable d’obtenir du
gouvernement
italien les budgets nécessaires pour poursuivre son travail, il
s’établit en
Angleterre en 1897 et fonda la Wireless Telegraphy and Signal Company
pour
commercialiser cette nouvelle technologie. En 1900, il en changea le
nom pour
Marconi’s Wireless Telegraphy Company et il commença à
établir des filiales
dans d’autres pays (Vipond, 1992, p. 6).
Marconi
enregistra la Marconi Wireless Company of Canada en Ontario le 1er
novembre 1902, et auprès du gouvernement
fédéral en août 1903 (Vipond,
1992, p. 6), dans le but d’installer des stations de
télégraphie sans fil
sur les navires et sur les côtes pour faciliter la navigation et
le commerce (Vipond,
1992, p. 6). On a expliqué de diverses façons la solide
implantation de
Marconi au Canada. Mary Vipond, dans son livre Listening In: The
First Decade
of Canadian Broadcasting, 1922-1932, propose sa version des faits ;
elle
explique que, alors qu’il se rendait en l’Amérique du Nord afin
d’installer une station réceptrice transatlantique permanente,
Marconi
rencontra sur le bateau le député libéral de
Nouvelle-Écosse, Alexander
Johnston. Celui-ci convainquit Marconi des avantages, pour sa
compagnie,
d’installer sa station principale en Amérique du Nord, plus
précisément à
Glace Bay, en Nouvelle-Écosse. Johnston réussit
même à amasser 80 000 $ pour
assurer le financement de l’entreprise (Vipond, 1992, p. 6). Un
précédent
fut ainsi créé :
Même si le gouvernement
était
prêt à assurer le financement de la station pour
réduire le coût des
communications avec l’Europe, il préféra confier
l’opération à
l’entreprise privée, c’est-à-dire à Marconi.
(Vipond, 1992, p. 6, trad.
libre)
En
1908, la station de Glace Bay était opérationnelle. Le
gouvernement canadien
avait conclu une entente avec Marconi pour qu’il construise des
stations côtières.
Ces stations (au nombre de15 en 1907) étaient la
propriété du gouvernement
canadien, et la compagnie Marconi les louait et en assurait le
fonctionnement (Vipond,
1992, p. 7).
En
1909, Marconi implanta une usine sur l’avenue de Lorimier, à
Montréal, pour
la production d’équipement radio (Vipond, 1992, p. 7). Avec
General Electric,
AT&T et Bell Canada, Marconi fut l’une des principales entreprises
faire
des recherches sur le son et la technologie radio durant les
années 1910.
Incapables, pour des raisons de conflits de brevets, de créer
des systèmes de
communication, ces entreprises mirent l’accent sur l’utilisation
commerciale
de l’équipement qu’elles fabriquaient.
Même
si un certain nombre d’entreprises se faisaient concurrence aux
débuts de la
radio au Canada, à la fin de 1920 il n’y avait plus que XWA de
Marconi, à
Montréal, qui travaillait sérieusement dans ce domaine.
L’évolution qui
mena la transformation de XWA en CFCF indique bien que Marconi voulait
à la
fois créer une station de radio tout en continuant de faire
progresser la
technologie radio. En mars 1919, le conseil de direction de la Canadian
Marconi
Company décida que les résultats des expériences
faites à Glace Bay
indiquaient que celles-ci devaient être intensifiées, et
qu’une antenne
devait donc être érigée à Montréal.
En même temps, l’entreprise commença
à faire connaître ses découvertes à des
entreprises et à différents
services gouvernementaux à Winnipeg, à Toronto et
à Montréal. En septembre
1920, Fred Barrow et Darby Coats présentèrent les
produits de Marconi à l’Exposition
nationale canadienne à Toronto.
Publicité de CFCF (49 K)
Canadian Wireless, 1922
Selon
Vipond, il existe différentes versions de l’histoire de la
création de CFCF.
En voici quelques-unes, recueillies au cours de ses recherches.
Donald Bankart,
en 1926, imputa à Max Smith (Smyth), un employé de
Marconi au Canada, l’idée
originale de la création d’une station radiophonique pour
mousser la vente
d’appareils de radio en 1920. Plus récemment, Sandy Steward a
écrit que les
expériences de transmission de la voix commencèrent en
décembre 1918 (ce qui
est peu probable), et elle et attribue à A. J. (A. H.) Morse, le
directeur
administratif, l’idée de produire des postes récepteurs.
Donald Godfrey, qui
a étudié le sujet, est d’avis que « tous les
documents convergent pour établir
que la voix et la musique furent pour la première fois mises en
ondes en 1919 »,
mais il ajoute aussi que « la mise en place de CFCF, des premiers
services
offerts au début à une véritable programmation
destinée au public, a duré
approximativement deux ans » (Vipond, 1992, p. 17, trad.
libre).
Quoi
qu’il en soit, CFCF diffusa diverses émissions, avant que le
gouvernement fédéral,
en janvier 1922, donne son accord officiel pour que la programmation
soit
prolongée jusqu’à 20 h - 22 h chaque soir (sauf
dimanche (Vipond 1992,
p. 17). En août 1921, avec l’aide du Standard de
Montréal, Marconi
diffusa les résultats d’une partie de football. À
l’automne, le magasin de
musique Layton Bros., de Montréal, commença à
commanditer les concerts
Marconi, « en ondes chaque jour » (Vipond, 1992, p. 17).
L’aventure de
Marconi dans l’univers de la radio commença donc avec
l’expérimentation et
la vente de matériel de radiotéléphonie. Mais,
comme nous l’expliquerons,
si l’entreprise investit beaucoup d’efforts dans la diffusion
radiophonique,
la conception de matériel dans ce domaine demeura son but
principal.
Publicité de CFCF (189 K)
Canadian
Wireless,
juin 1922
La
radio : une affaire de profits
Le
manuscrit de Coats, la correspondance consultée dans le dossier
Marconi aux
Archives nationales du Canada, la revue de Marconi Canadian
Wireless, et
celle qui lui succéda, Radio News of Canada,
démontrent à l’évidence
que même en créant CFCF, l’entreprise se
préoccupait d’abord des revenus
qu’elle pouvait tirer de la fabrication et de la vente de
matériel. Canadian
Wireless ne servait pas seulement de lieu de discussion des
innovations en
technologie radio, mais elle constituait aussi un outil publicitaire.
Les liens
de Marconi avec Scientific Experimenter Ltd. montrent aussi sa
volonté
de faire des profits dans la vente de matériel en attirant de
nouveaux amateurs
qui s’intéresseraient à ce nouveau passe-temps :
construire son propre
poste de radio. Par ailleurs, la plus grande partie de la programmation
originale de CFCF était orientée vers les gens à
revenus élevés, de préférence
dans le milieu des affaires, et qui pouvaient s’offrir les
récepteurs
relativement chers des débuts de la radio. Enfin, fait à
souligner, Marconi décida
de réduire les coûts d’exploitation de CFCF en acceptant
de diffuser de la
publicité, une pratique qui fut parfois contestée.
Lorsque
CFCF commença à diffuser, il en coûtait
relativement peu pour installer une
station de radio. Mary Vipond fait remarquer que, lorsque la
communication par
radio commença, il ne fallait qu’un peu plus de 50 $ par
année et de l’équipement
usagé pour démarrer une station. À la fin des
années 1920, cependant,
« un observateur bien informé estimait qu’il fallait
un investissement
total de 54 000 $ pour construire une station de 500 watts, et 168 400
$ pour en
ouvrir une ayant une capacité de 5000 watts » (Vipond
1992, p. 54,
trad. libre). Ainsi, ce qui était au départ une
façon économique, pour
Marconi, d’encourager la production et la vente de radios devint
très cher.
(Notons, cependant, que presque tout l’équipement de
transmission utilisé
par un nombre croissant de stations au Canada était
acheté chez Marconi !)
En
même temps qu’il en coûtait plus pour développer la
technologie radio, les
frais de programmation grimpaient eux aussi. Vipond rapporte :
Les coûts
de
programmation grimpèrent considérablement au fur et
à mesure que la décennie
avançait… Alors que les disques et le talent amateur avaient
suffi durant les
deux ou trois premières années de la radio, les auditeurs
devinrent plus
raffinés et exigeants avec le temps. Les règlements du
gouvernement imposèrent
que la majorité des émissions soient en direct et les
auditoires commencèrent
à insister pour qu’elles soient également « de
qualité »… Dans la
plupart des stations, on affirmait bien souvent perdre de
l’argent : en dépit
de la rentabilité des plus grandes stations, le profit moyen des
stations, en
1931, était un maigre 415 $ (Vipond 1992, p. 55, 58, trad.
libre).
Il
apparaît clairement, alors, que Marconi avait besoin d’une source
supplémentaire
de revenus pour garder la station à flot. Elle ne pouvait plus
que servir de «
locomotive » à la vente de matériel.
Parmi
les différentes méthodes adoptées par la compagnie
Marconi pour mousser sa
station et les ventes de son matériel, on note la fondation d’un
petit
magazine appelé Canadian Wireless, principalement
destinés aux amateurs
de radio amateur. On y trouvait, entre autres, des articles sur les
nouvelles
stations et les nouvelles technologies, et une liste des stations qui
diffusaient déjà. De plus, le magazine contenait
plusieurs annonces pour le
matériel de Marconi et les produits de sa compagnie
affiliée, Scientific
Experimenter Ltd.
Même
s’il n’a jamais été clair qu’un lien direct existait
entre la Marconi
Company of Canada et Scientific Experimenter Ltd, il est
évident
qu’une relation financière exista entre ces deux entreprises.
Darby Coats y
fait référence, en parlant de l’Exposition nationale
canadienne :
Un autre stand
à l’exposition montrait du matériel de transmission et de
réception de
radio amateur, des ensembles de cristal, etc., comme ceux qui pouvaient
être
achetés au magasin de détail de l’avenue McGill College,
à Montréal, connu
sous le nom de Scientific Experimenter Ltd. (Coats, n. d., p. 30,
trad.
libre)
De
fait, dans le numéro de juillet 1925 de Radio News of Canada,
on annonça
que la Canadian Marconi Company, dont le nom avait été
changé, avait
officiellement absorbé Scientific Experimenter Ltd de Toronto,
qui avait cessé
de fonctionner le 30 avril 1924. (Radio
News of Canada 1925, p. 15). Il
était clair que Marconi vendait, par l’entremise de Scientific
Experimenter
Ltd, de l’équipement radio produit pour les amateurs et les
auditeurs. Cela
s’ajoutait à ses ventes d’équipement pour les
communications radiotélégraphiques
et à son nouveau commerce de vente d’équipement de
radiodiffusion aux
stations nouvellement ouvertes.
Lorsque
CFCF fut inauguré, en 1922, Marconi vit l’avantage que cela
aurait pour la
publicité de ses produits. Dans le numéro de juin 1922 de
Canadian Wireless,
l’éditeur — nul autre que Darby Coats — signait deux articles
(à la même
page), sur l’ouverture de la station et la technologie utilisée.
Le premier
article, « Broadcasting Station CFCF »,
décrivait le déménagement
de la station sur le toit de la Canada Cement Company, square Phillips,
un
endroit où « [les] magasins de radios s’adressant aux
amateurs se
multiplient rapidement ». L’article continuait ainsi :
« Quatre ou
cinq magasins de matériel sans fil sont déjà
ouverts à un jet de pierre de
la station, et il semble que cela deviendra le centre de la radio
amateur à
Montréal. » (Canadian
Wireless, 1922, p. 6, trad. libre)
L’article
mentionne aussi l’ensemble portatif Marconi qui
«
fonctionnait temporairement sur une longueur d’ondes de 440
mètres », et
renvoie les lecteurs à la description du produit ailleurs dans
le numéro (Canadian
Wireless, 1922, p. 6). Cette description était en fait
placée juste à côté
de l’article, avec comme la mention « Utilisé
temporairement à la station
de radiodiffusion CFCF, à Montréal » (Canadian
Wireless, 1922, p. 6).
L’accent sur la nouvelle station et le nouveau matériel
était souligné en
italique : « Nous indiquons les particularités
suivantes de
l’ensemble YC-3, parce que nous croyons qu’elles intéresseront
nos
lecteurs, surtout ceux qui peuvent recevoir la diffusion de la station
CFCF. »
(Canadian Wireless, 1922, p. 6) Coats illustrait ainsi on
ne peut
plus clairement comment Marconi voyait le lien entre la technologie de
diffusion
et les stations.
Un
autre aspect de la stratégie de marketing de Marconi fut de se
concentrer sur
les acheteurs les plus riches. Un examen de la liste des
émissions indique que
la programmation de CFCF était souvent orientée vers la
communauté financière
ou les classes moyenne et supérieure. Dans l’édition
d’août 1922 de Canadian
Wireless, par exemple, la station annonçait qu’elle avait
conclu une
entente avec le Financial Times de Montréal pour
diffuser des bulletins
provenant de la Bourse de Montréal le midi (Canadian
Wireless, 1922, p.
10). Une liste des émissions publiée par Radio News
of Canada en août
1923 indique que, de 13 h à 13 h 40 tous les jours, sauf le
dimanche, en même
temps que d’autres nouvelles, on présente des rapports sur les
marchés
financiers et la vente de bestiaux (Radio News of Canada, 1923).
Dans le
numéro de juillet 1925, la liste indique que la programmation
quotidienne (sauf
le dimanche), de 12 h 45 à 13 h 40, est
consacrée à la Bourse et à
la météo (Radio News of Canada, 1925). Cela
constitue, à l’époque,
une partie importante de la programmation. À la fin des
années 1920,
cependant, la programmation se transforme, et l’on commence à
mettre de plus
en plus l’accent sur le divertissement entrecoupé d’informations
et de
commentaires (Radio Broadcasting Schedules, 1928-1929). Si les
rapports
boursiers sont encore présentés quotidiennement, ils
représentent une partie
du temps de programmation de moins en moins importante au fur et
à mesure que
la station attire d’autres types d’auditeurs et qu’elle tente de
répondre
à leurs besoins.
Fait
non moins important, CFCF (comme toutes les autres stations du Canada,
au milieu
des années 1920) tenta de trouver des commanditaires qui
contribueraient au coût
des émissions en échange de la possibilité de
faire connaître leurs produits
aux auditeurs. Cela créa d’ailleurs des problèmes
à certains moments :
par exemple, à propos de l’émission Sir Harry Lauder
Broadcast, en
1929. CFCF voulut diffuser cette émission en même temps
que CHYC, propriété
de la compagnie de téléphone Bell, diffusait un service
religieux. Durant les
années 1920, chaque station possédait une licence du
gouvernement fédéral
pour diffuser seulement à des périodes précises
durant la semaine, parce que
la « diffusion simultanée » — comme on le disait
à l’époque — pouvait
produire de l’interférence entre stations voisines. La section
radio du
ministère de la Marine et des Pêcheries, vers laquelle
CFCF se tourna pour
obtenir une permission spéciale, la lui refusa et, finalement,
l’émission ne
fut pas diffusée à Montréal.
Voici
comment toute l’histoire semble s’être déroulée.
Apparemment, CHYC fut
approchée par le réseau américain NBC et le
réseau canadien Trans-Canada
Broadcasting pour diffuser le récital de Harry Lauder durant la
soirée du
dimanche 1er septembre 1929 ;
comme la station s’était déjà engagée
à diffuser le service religieux et
qu’elle aurait offensé plusieurs auditeurs en l’annulant, la
direction dut
refuser l’offre. R. W. Ashcroft, de Trans-Canada Broadcasting, se
tourna alors
vers CFCF, qui accepta (Ashcroft, 1929). Cependant, dans une lettre
datée du 23
juillet 1929, C. P. Edwards, directeur de la section radio du
Ministère écrit
à Ashcroft que
si
l’émission
religieuse de CHYC est encore en ondes durant l’heure planifiée
pour Sir
Harry Lauder Broadcast, le Ministère n’approuvera pas la
diffusion
simultanée. Vous comprendrez que le Ministère doit
être prudent en matière
de questions religieuses (Edwards, 1929).
Malheureusement
pour CFCF, effectivement, l’émission religieuse de CHYC
était diffusée de
18 h à 19 h 15, et celle de Lauder de19 h à 19 h 15
(Wren, 1929). Jarvis C.
Wren, de H. C. Goodwin Inc., le commanditaire, envoya un
télégramme au
ministre de la Marine et des Pêcheries, Alexander Johnson, le 26
juillet, et
demanda que l’on reconsidère la question, à cause de
l’immense popularité
de Sir Harry Lauder ; mais sa requête fut refusée le 2
août (Wren,1929a ;
Johnston, 1929). La réglementation stipulait que la diffusion
simultanée un
dimanche, par exception, pouvait avoir lieu seulement si
l’émission ajoutée
avait un caractère religieux. Et, fait plus important encore,
l’émission
proposée dans ce cas avait un caractère commercial (parce
que commanditée),
ce que la section radio était très réticente
à permettre un dimanche, jour
de repos. Johnston écrivit alors :
Nous n’avons
pas d’objection à accorder une permission pour une diffusion
simultanée le
dimanche dans le cas de diffusions présentant un
intérêt particulier pour les
auditeurs, comme celle dont il est question ici. Nous
considérons, cependant,
que certains auditeurs pourraient s’objecter à ce que
l’émission de Sir
Harry Lauder soit diffusée en même temps qu’un service
religieux, surtout
que cette comporte de la publicité pour la compagnie Enna
Jettick Shoe de New
York. Nous croyons qu’un auditeur qui a l’habitude d’écouter une
émission
à caractère religieux et qui doit soit écouter une
émission diffusée à des
fins publicitaires soit fermer sa radio aurait un motif raisonnable de
se
plaindre auprès du Ministère (Johnston, 1929).
Malgré
deux autres demandes de la part de Wren, le Ministère ne bougea
pas et l’émission
ne fut pas diffusée par CFCF.
Dans
une lettre envoyée au sous-ministre et datée du 24
septembre 1929, un auditeur
exprime son exaspération devant la façon dont le
gouvernement a traité la
situation :
J’ai le
regret de vous dire que cet incident me force à conclure que
votre ministère,
suivant une politique bien arrêtée, a choisi de
répondre aux désirs de la
minorité protestante d’expression anglaise de Montréal,
sans égard aux
sentiments des autres groupes qui constituent la grande majorité
de la
population de cette ville et des environs. Je suis moi-même
Canadien français
et une attitude de ce genre me déplait profondément […].
Je n’ai aucune
objection à la diffusion de services religieux protestants, en
principe, mais
je crois sincèrement avoir le droit de protester vigoureusement
contre une
politique qui vise à plaire à la minorité aux
dépens de la majorité. Si
telle est l’attitude de votre ministère, s’il vous plaît,
déchargez tous
les Canadiens français de l’obligation de payer une licence
annuelle de 1 $,
et imputez cette dépense à ceux pour qui l’administration
de votre section
radio semble travailler en exclusivité (Jammes, 1929).
On
peut trouver dans cette histoire des éléments qui
indiquent l’existence de
certains problèmes de programmation aux débuts de la
radio. D’abord, la réglementation
gouvernementale semblait arbitraire. Ensuite, la lettre citée
plus haut montre
que des auditeurs, selon le groupe linguistique auquel ils
appartenaient, réagissaient
différemment aux décisions de la section radio. Enfin,
l’incident illustre
que la publicité pouvait être une source de complications
pour les diffuseurs
à cette époque. Le gouvernement semblait incapable de
comprendre que les
diffuseurs privés avaient besoin d’attirer un vaste auditoire et
des
commanditaires grâce à une programmation de
divertissement, quelle que soit
l’origine de l’émission et le jour de la semaine où elle
serait diffusée.
L’objectif
principal de la compagnie Marconi durant les premières
années de CFCF était
de vendre du matériel radio ; sa façon de gérer
CFCF, ses liens avec
Scientific Experimenter Ltd. et la publication du magazine Canadian
Wireless
le démontrent. Fait plus important, les émissions
diffusées à CFCF étaient
au départ destinées aux classes moyenne et
supérieure ; puis, à la fin des
années 1920, la programmation donna de plus en plus de place au
divertissement
populaire, ce qui permettait d’attirer un plus grand nombre possible
d’auditeurs, et donc de vendre plus de radios ; en même temps,
cela
encourageait les entreprises à commanditer des émissions.
CFCF est donc un bon
exemple de la façon dont commença et évolua la
radio canadienne privée, qui
était avant tout une affaire de profits.
Page frontispice (88 K)
Canadian Wireless, Décembre 1921
***
Auditeurs en 1920 environ (186 K)
Canadian Wireless, 1922
Références
Wren,
Jarvis C., 1929. Telegram to Radio Marine, Archives nationales du
Canada. RG 97,
vol. 149, dossier 6206-72, partie 2.
Wren,
Jarvis C, 1929a Telegram to Alexander Johnston, 26 juillet 1929,
Archives
nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 2.
Ashcroft,
R.W., 1929. Letter
to W. D
Simpson of CFCF, 18 juillet 1929, Archives nationales du Canada, RG97,
vol. 149,
dossier 6206-72, partie 2.
Canadian
Wireless,
octobre 1921, vol. 1, n° 5.
Canadian
Wireless,
novembre1921, vol. 1, n° 6.
Canadian
Wireless,
décembre 1921, vol. 1, n° 7.
Canadian
Wireless,
juin 1922, vol. 2, n°. 1.
Coats,
Darby, n.d. Canada’s 50 Years of Broadcasting
and
Stories Stations Tell:
Featuring
the Pioneer Station XWA later given the call letters CFCF 1919-1969. Montréal
: Canadian Marconi Co.
Edwards,
C. P., 1929. Letter
to R. W.
Ashcroft, 23 juillet 1929, Archives nationales du Canada, RG97, vol.
149,
dossier 6206-72, partie 2.
Hopkins,
W., 1960. History of Canadian Marconi Co. 1901-1959. Montréal
: Canadian Marconi Co. Ltd.
Jammes,
Frank, 1929. Letter to Alexander Johnston, 24 septembre 1929, Archives
nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 2.
Johnston,
Alexander, 1929. Letter to Jarvis C. Wren, 2 août 1929, Archives
nationales du
Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 2.
Radio
Broadcasting Schedules, CFCF, 1928-1929. Archives nationales du Canada,
RG 97,
vol. 149, dossier 6206-72, partie 1.
Radio
News of Canada,
août 1923.
Radio
News of Canada,
août 1924.
Radio
News of Canada,
juillet 1925
Vipond,
Mary, 1992. Listening In: The First Decade of Canadian Broadcasting
1922-1932.
«Diary of a Ham» (79 K)
Canadian Wireless, 1922
Voir
aussi le texte Anecdotes
en version originale anglaise :
«ANECDOTES OF CFCF’S EARLY YEARS IN RADIO»
Projets réalisés | ||
Historique de la radio anglophone au Québec | ||
CFCF : les premières années de la radio (voir aussi le texte Anecdotes...) |
Les relations entre les stations anglaises de Montréal Liste chronologique des stations radiophoniques de langue anglaise au Québec |
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Mise à jour le 29 juillet 2005
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