Phonothèque
québécoise |
traduction
de Michelle Bachand et Jean Bernard
Studio radiophonique
(177 K)
Il
y avait, durant les années 1980 et 1990, trois grands groupes de
stations de
radio privées anglophones à Montréal :
CJAD-AM et CJFM-FM (ou Mix 96),
propriété de Standard Radio Broadcasting ; CKGM-FM et
CHOM-FM, propriété de
CHUM ltée ; et CIQC-AM (jadis CFCF) et CFQR-FM,
propriété de CFCF inc. (puis
achetées par Mount Royal Broadcasting en 1988). Étant
donné la petite taille
du marché de la radio de langue anglaise à
Montréal, les propriétaires et
les directeurs des stations communiquaient entre eux de façon
assez régulière.
De fait, on pourrait comparer la relation existant entre ces trois
groupes à
celle qu’on retrouve dans une petite famille. Il y avait certains codes
de
conduite, des règles que chaque membre devait suivre ; si l’un
des membres de
la famille agissait de telle sorte que cela modifiait la dynamique
familiale, il
était rappelé à l’ordre. On pourrait poursuivre
l’analogie : la
figure parentale, dans cette famille, c’était le CRTC, qui
guidait les
enfants et s’assurait qu’ils se comportaient bien. Et si les enfants
allaient parfois rapidement confier à papa et maman que l’un
d’entre eux
avait mal agi, ils étaient la plupart du temps solidaires.
Les
trois groupes étaient unis par deux buts communs, mais
contradictoires :
promouvoir l’industrie de la radio de langue anglaise au Québec,
et
promouvoir leurs propres intérêts. Dans chaque trio, il y
a toujours un membre
qui est mis de côté : CFQR-FM était souvent
attaqué par ses deux jeunes
frères, parce qu’il essayait constamment de changer les
règles du jeu, menaçant
ainsi l’équilibre sur le marché montréalais de la
radio de langue anglaise.
Le
CRTC accorda des licences à un bon nombre de stations FM
à partir de 1975. La
radio FM devait « devenir suffisamment différente de la
radio AM privée telle
qu’elle exist[ait] et offrir une programmation de haute qualité
de plus
grande envergure » (CRTC, 1975-1976, p. 1). Au début de
1984, la Commission du
CRTC sur la programmation FM, présidée par J. R. Robson,
décida de faire un
certain nombre de modifications dans la section «Promesse de
réalisation»
du formulaire de renouvellement de licence. Elle recommanda que les
définitions
des sous-catégories de musique populaire, rock et country soient
simplifiées
et mises à jour régulièrement « après
consultation de l’industrie de la
diffusion et de la musique » (CRTC, 1983-1984, p. 24). Les
conditions
stipulaient également que chaque station FM devait
nécessairement entrer dans
une catégorie définie par la Commission. Pour bien
comprendre le langage des
diffuseurs montréalais dans les années 1980 et 1990, il
est utile de présenter
brièvement certaines de ces catégories du CRTC. La
politique du CRTC par
rapport au FM et la relation étroite qu’entretenaient les
diffuseurs furent
la cause de plusieurs différends entre les stations.
Lorsqu’une
station fournit au CRTC une « Promesse de
réalisation », elle doit se
situer dans l’un des quatre groupes suivants. Ce genre de
règlement est très
utile aux stations, car il aide chacune à établir le
groupe d’âge qu’elle
vise comme public.
Groupe
I
– les stations qui consacrent 70 % ou plus de leur programmation
à la musique
allant de la catégorie 5 (musique en général) […]
à la sous-catégorie 51
(musique, populaire et rock – doux).
Groupe
II
– les stations qui consacrent 70 % ou plus de leur programmation
à la musique
allant de la catégorie 5 […] à la sous-catégorie
52 (musique, populaire et
rock – plus dur).
Groupe
III
– stations qui consacrent 70 % ou plus de leur programmation à
la musique
allant de la catégorie 5 […] à la sous-catégorie
53 (musique, country).
Groupe
IV
– stations qui ont des plans de programmation musicale
particulière
directement liée à la sous-catégorie 5 (CRTC,
1984, p. 5-6).
Pour
tenter de situer une station dans ces catégories, il faut savoir
comment le
CRTC définit les sous-catégories. Dans son rapport de
1984, le CRTC donne les
définitions suivantes :
Sous-catégorie
51 : populaire et rock – doux
[…] comprend de la musique de la partie « plus doux » du
spectre de la
musique populaire et rock, et va de « facile à
écouter » et
« belle musique » à « populaire
adulte » et « rock doux »,
aussi bien que d’autres formes de musique généralement
appelées Middle
of the Road et « adulte contemporain ».
Sous-catégorie
52 : populaire et rock – dur
[…] comprend de la musique de la partie « plus dure » du
spectre de la
musique populaire et rock, et va de « rock and roll et rythm and
blues » à «
rock » et « rock dur », aussi bien que
d’autres formes de musique
généralement appelées rock […].
Sous-catégorie
53 : country […]
va de « country et western » et « bluegrass »
aux styles
« Nashville » et « country – populaire » et
autres formes de musique généralement
appelées country […] (CRTC, 1984, p. 3-4, trad. libre).
Ces
sous-catégories, cependant, ont varié avec le temps, et
il est clair que la
classification d’une chanson donnée peut être discutable.
Selon le numéro
de mai 1999 de Broadcaster, CJFM-FM (Mix 96) est une radio
« succès
contemporains », CHOM-FM est une radio « rock
orienté compilations » et
CFQR-FM est une radio « musique adulte contemporaine »
(Broadcaster,
1999). CFJM-FM appartient maintenant au groupe IV, CHOM-FM appartient
au groupe
II et CFQR-FM appartient au groupe I. Tout au long des années
1980 et 1990,
cependant, CFQR fut la cause de bien des conflits parce qu’elle tenta
de se
redéfinir.
Lorsque
CFQR voulut changer de catégorie, de « belle
musique » à « écoute
facile », elle créa un conflit dans un milieu
déjà tendu. Comme nous le
verrons, CHOM et CJFM se sentirent menacées par ce geste de
CFQR, qui voulait
se servir du CRTC pour entériner la situation.
Mais
il y eut aussi des gestes de collaboration au cours de ces
années. Par exemple,
au début de 1998, lorsque l’antenne de la station AM de Standard
Broadcasting
(CJAD) fut détruite durant la tempête de verglas, CHUM
ltée, avec
l’approbation du CRTC, offrit à Standard d’utiliser son
émetteur AM.
Protéger
son territoire : le débat sur le changement de CFQR-FM
Durant
les années 1980, CFQR fit plusieurs tentatives pour changer le
type de musique
qu’elle diffusait. Cela continua dans les années 1990,
jusqu’à ce que le
CRTC approuve qu’elle soit dans la catégorie « adulte
contemporain ».
Tout au long de ces années, certains directeurs de CFQR — Dave
Middleton,
Pierre Béland et Pierre Arcand — affirmèrent que la
musique offerte par CHOM
et CJFM attirait le même type d’auditoire d’âge moyen,
traditionnellement
réservé à CFQR. De même, ils croyaient que
la musique définie par
l’industrie durant les années 1980 comme
« écoute facile » avait
évolué et que la catégorie de la station devait,
d’une certaine façon,
refléter cela.
Traditionnellement, CFQR s’adressait aux auditeurs de 25 à 49 ans et à ceux de plus de 50 ans. Devant le CRTC, le 25 mars 1985, Jean Pouliot, président et chef de la direction de CFCF inc., et Dave Middleton, vice-président et directeur général de CFQR, déclarèrent qu’ils croyaient que cette tranche d’âge était formée de jeunes professionnels et de gens d’affaires d’âge moyen bien établis, ainsi que des personnes à la maison qui voulaient écouter une station différente, et de « tous ces gens actifs qui ont leur propre style de vie » (Pouliot, 1985). Ces auditeurs cherchaient une station qui présentait une musique d’« écoute facile ». Cependant la radio FM et ce qui était considéré par l’industrie de la musique et ses auditeurs comme « écoute facile » se transformait, et Pouliot argua que la station essayait de suivre cette évolution.
Autrement
dit, selon Pouliot et Middleton, l’« écoute facile »
des années 1980 était
quelque chose de très différent de ce qui correspondait
à cette catégorie
dans les années 1960 et 1970. Par exemple, Middleton fit
remarquer que la
musique dite « rock » 10 ou 20 ans auparavant,
comme celle des
Beatles, était maintenant appelée
« écoute facile » (Middleton,
1985). Il ajouta que de la musique seule (sans paroles) était
« rarement
présentée maintenant » et que les gens
étaient plus intéressés à
entendre des chanteurs et chanteuses que dans les années 1960.
Le CRTC avait
donné l’autorisation à CFQR de changer la proportion de
chansons à musique
instrumentale de 35/65 à 30/70 en 1983 ; maintenant Middleton
demandait au CRTC
de permettre à la station d’augmenter ce pourcentage
chansons/musique
instrumentale à 75/25 (Middleton, 1985).
Un
article de Mike Boone, dans The Gazette, intitulé
« Boy George
Bounces Mantovani as CFQR Shakes Up Its Sound »
enfonça le clou en
expliquant les véritables motifs de la direction de CFQR.
Après
avoir offert une musique fade dans les ascenseurs de la ville, dans les
restaurants et les institutions gériatriques pendant 20 ans, la
station sœur
de CFCF essaie de trouver un son distinctif qui attirera une certaine
tranche de
la population pouvant être une bonne cible pour les publicitaires
(Boone, 1985,
trad. libre).
Selon
Boone, Middleton avait nommé Bob Burgess au poste de directeur
musical de CFQR
en lui donnant comme mission de modifier le « son » de la
station afin que
celle-ci soit dorénavant une « style Californie
». Alain Montpetit, qui
avait travaillé à CKMF, une station FM francophone de
« danse », fut également
engagé par Middleton pour animer l’émission du matin,
parce qu’il voulait
quelqu’un qui « connaît la ville, se sent à
l’aise la rue
Saint-Denis et parle aux Montréalais ». Boone croyait,
cependant, que ce
changement serait de courte durée : CFQR avait offert,
auparavant, de
la musique de détente à son auditoire, loin des sons
agressifs et de
l’approche parfois vulgaire de ses compétiteurs sur le
même marché […].
CFQR, tout en réalisant qu’elle doit être au diapason des
jeunes adultes
d’aujourd’hui, maintiendra la présentation de « belle
musique »
qui a fait [son] succès dans le passé et le fera dans les
années à venir, en
étant le choix des auditeurs de bon goût qui recherchent
ce qui correspond à
leur style de vie plus adulte et décontracté (Boone,
1985, trad. libre).
Ainsi,
Boone suggérait que ce changement de cap de CFQR, qui l’amenait
à entrer en
concurrence avec CHOM et CJFM ne pouvait qu’être un échec.
Trois
ans plus tard, le 5 juillet 1988, lorsque Pouliot tenta de vendre la
station à
Mount Royal Broadcasting, des représentants de CFCF inc. et de
Mount Royal
Broadcasting s’adressèrent au CRTC. Pierre Béland (futur
président et
directeur général de la nouvelle station et actionnaire),
Pierre Arcand
(premier vice-président et futur directeur des
émissions), John Stubbs
(vice-président à l’exploitation), Claude Dufault
(vice-président aux
ventes), Andy Peplowski (directeur de l’information), Raymond David
(consultant financier), Alain Dubé (consultant financier),
Francine Côté
(conseiller juridique) et Adrien Pouliot étaient
également présents à
l’audience. Béland soutint que la situation de la radio de
langue anglaise à
Montréal était à un « point critique
», parce que le marché était
« au mieux stable, sinon en déclin »
(Béland, 1988). Il affirma
que, même si durant les années 1960 et 1970 CFQR
était la station FM la plus
populaire au Canada, elle était en déclin constant depuis
ce temps. Selon l’étude
de l’acheteur, la moyenne d’écoute était de 8,2 heures
par semaine, ce qui
était de beaucoup inférieure à celle de stations
comme CFGL-FM et CITÉ-FM
(stations francophones) qui était de 11 à 12 heures par
semaine (Béland,
1988). Voici un résumé de la demande de Mount Royal au
CRTC :
1.Tout
en demeurant dans les paramètres autorisés d’une station
de groupe I, le
demandeur propose de changer la proportion de chansons à musique
instrumentale
de 30/70 à 65/35 ;
2.
De réduire la quantité de musique traditionnelle et
d’intérêt particulier
(catégorie 6) de 6 heures à 2 heures par semaine ;
3.
D’assurer que CFQR-FM continuera à viser un auditoire adulte de
35 à 54 ans.
4.
Elle aurait une identité distincte parce que la plus grande
partie des chansons
diffusées serait tirée des répertoires
récents et passé et qu’elle
continuerait à être la seule station FM à
Montréal à présenter de la
musique instrumentale (CRTC 1988, p. 11-12, trad. libre).
À
la fois Rob Braide, de Standard Broadcasting, et Lee Hambleton, de CHUM
ltée,
se présentèrent devant le CRTC pour exprimer leur
inquiétude face à une
perte possible d’une partie de leur « territoire ». Si le
CRTC permettait ce
changement, cela modifierait le groupe d’âge que CFQC disait
vouloir
atteindre et ne ferait que doubler le service déjà offert
par leurs stations.
Dans une lettre datée du 14 juin 1988, Braide écrivit
à Fernand Belisle, secrétaire
général du CRTC, que s’il ne s’opposait pas à
l’achat de CFCF et CFQR
par Mount Royal Broadcasting, il voulait s’assurer que CFQR garderait
le même
type de programmation :
La
proposition faite par Mount Royal Broadcasting inc. de modifier
la
Promesse de réalisation de CFQR afin de diffuser plus de
chansons plutôt que
de musique instrumentale menace de bouleverser l’équilibre […]
et de nuire
à la variété des services qui sont maintenant
disponibles (Braide, 1988a,
trad. libre).
Braide
affirmait que la nouvelle catégorie ne s’adresserait pas aux 35
à 54 ans,
mais aux 25 à 45 ans. Surtout, croyait-il, il fallait tenir
compte du contexte
de « de transformation de la composition linguistique de la
région de Montréal
», et pria le CRTC de donner une « orientation
constante » aux
questions concernant la diffusion anglaise au Québec (Braide,
1988a).
Braide,
accompagné de son directeur des émissions, Jeff Vidler,
se présenta devant le
CRTC en juillet 1988. Il soutint que si CFQR avait l’autorisation de
modifier
sa programmation comme le demandait, il y aurait duplication des
services déjà
disponibles sur CJFM-FM, CKGM-FM, CJAD-AM et CFCF-AM. Il souligna qu’en
privant le groupe d’âge des 50 ans et plus de la station qui leur
était
destinée, cela entraînerait la perte d’un groupe
d’auditeurs en croissance
constante, et l’on introduirait un « nouvel
élément de concurrence
parmi les stations de radio déjà établies et qui
faisaient déjà face à des
difficultés à la suite de la diminution de la population
anglaise et du manque
à gagner qu’occasionnent les dépenses qui doivent
être faites pour attirer
des auditeurs anglophones » (Braide, 1988b).
De
la même façon, Lee Hambleton, de CHUM ltée,
écrivit à Fernand Belisle en
juin, soulignant que la demande de CFQR d’éliminer la seule
station à Montréal
qui présentait surtout de la musique instrumentale signifierait
l’abandon
d’un service offert à un large segment d’auditoire :
La proposition d’offrir une programmation déjà offerte ailleurs et passé de cibler surtout un auditoire de 35 à 49 ans, indiquait, par le fait même, une répétition de la programmation d’au moins deux des trois stations de radio anglaise de Montréal qui présentent surtout de la musique et qui comptent surtout sur de la musique plus ancienne (Hambleton, 1988, trad. libre).
Hambleton
ajouta que ces changements feraient en sorte que quatre des six
stations de
radio anglaise privée à Montréal offriraient,
à des degrés divers, la même
programmation basée sur de la musique moins récente
(Hambleton, 1988).
Hambleton
intervint aussi lorsque Mount Royal Broadcasting comparut à
l’audience du
CRTC le 5 juillet. Hambleton et sa directrice des émissions,
Susan Davis,
indiquèrent que tout en n’étant pas opposés
à l’achat de la station par
Mount Royal Broadcasting, ils étaient préoccupés
par le fait que le
changement de programmation aurait un effet négatif sur
l’équilibre global
des services sur le marché montréalais (Hambleton et
Davis, 1988). Doubler les
services, dirent-ils, serait contraire à la politique du
Conseil, selon
laquelle les diffuseurs devraient se compléter et élargir
la programmation
disponible ; de plus, on ne répondrait plus aux besoins de ces
auditoires qui
étaient actuellement servis par CFCF et CFQR (Hambleton et
Davis, 1988).
À
la fin, le Conseil approuva certains changements dans la Promesse de
réalisation
de CFQR en autorisant la station à changer la proportion
chansons/musique
instrumentale de 30/70 à 65/35. Non seulement le CRTC imposa que
le pourcentage
de la catégorie 5, « chansons », ne puisse
dépasser 65 %, mais il
requit aussi que les deux catégories soient distribuées
également tout au
long de la journée. Si CFQR ne respectait pas cette restriction,
elle serait réprimandée
par le CRTC (CRTC 1988, p. 12). Sans aucun doute, l’intervention des
deux
autres stations influença la décision du Conseil.
Pendant
les quatre années suivantes, les stations se servirent du CRTC
pour
s’espionner mutuellement. Par exemple, Braide se plaignit directement
à Béland
et au CRTC à propos de CFQR et de son défaut de se
conformer à sa Promesse de
réalisation. Le 21 décembre 1990, Peter Fleming,
du CRTC, écrivit à Béland
pour l’informer que Braide avait accusé CFQR de ne pas
s’être conformé
aux décisions du CRTC entre le 4 et le 10 novembre (Fleming,
1990). Fleming
mena sa propre enquête et conclut que CFQR avait diffusé
70,2 % de
chansons (5 % de plus que permis) durant cette semaine (Fleming, 1990).
Lorsque
Braide prit connaissance de ces résultats, il écrivit
encore à Fleming pour
souligner, une fois de plus, les continuels accrocs de CFQR à sa
Promesse de réalisation
(Braide, 1991a). Il insista sur le fait que le CRTC avait donné
en vain à CFQR,
à trois occasions distinctes, en mai, en septembre et en octobre
1990, la
possibilité de changer ses pratiques.
Un
autre problème apparut alors. Dans leurs rapports
réguliers au CRTC, les
stations doivent faire la liste de toute la musique diffusée.
Mais une façon
de déjouer les exigences des pourcentages est d’y inclure les
pièces qui ne
sont pas diffusées intégralement. Braide déclara
que c’était une pratique
courante chez CFQR. Il rapporta que, le 7 janvier 1991, de la musique
instrumentale avait été diffusée juste avant les
informations de la
demi-heure et interrompue après seulement une minute. De fait,
la longueur
moyenne de chaque pièce instrumentale sur une période de
deux heures était
seulement de 66 secondes, beaucoup moins que les 2 minutes requises par
le CRTC.
Pierre Arcand admit que cela s’était produit et promit au CRTC
qu’à
l’avenir il y aurait au moins deux diffusions de musique instrumentale
à
chaque heure, chacune durant au moins deux minutes (Arcand, 1991).
Du
côté opposé, Claude Dufault, directeur
général de Mount Royal Broadcasting,
déclara plus tard cette année-là que
« l’esprit et la lettre des
règlements de base du CRTC » avaient
été transgressés par CJFM
puisqu’elle avait diffusé plus que sa part de musique
« à succès »
(Braide, 1991b). Rob Braide répondit à cette accusation
en fournissant à
Dussault une liste de ce qui avait été diffusé
durant la journée en
question. Il contredit les affirmations de Dufault à propos de
CJFM qui aurait
diffusé 62 % de musique à succès alors que le
maximum selon le CRTC devait être
de 49,9 % ; selon sa liste, Braide calcula que ce pourcentage
était plutôt de
47,2 (Braide, 1991b). Il ajouta sarcastiquement que la personne qui
avait
consulté la liste n’avait sûrement pas « une
très bonne connaissance
de la musique populaire ou l’habileté de reconnaître ou de
suivre la trace
des chansons selon les catégories du CRTC » (Braide,
1991b, trad. libre).
Ces
points en litige étaient encore chauds en janvier 1992 lorsque
Mount Royal
Broadcasting se présenta à nouveau devant le CRTC et
demanda l’autorisation
de modifier sa programmation une fois de plus. Béland rappela
que, tout au
cours de son histoire, la station avait toujours ciblé les 35
ans et plus, mais
que ce n’était plus possible, parce que les deux autres stations
de musique
rock visaient le même auditoire (Béland, 1992). (Il s’agit
bien sûr des
baby boomers… vieillissants.) Béland proposa pour CFQR un
auditoire cible de
35 ans et plus à qui l’on offrirait de la musique contemporaine
douce pour
adultes, dans une proportion de 95 % de chansons et de 5 % de musique
instrumentale, ce qui permettrait à la station de diffuser plus
de musique que
son auditoire désirait (Julio Iglesias, Barry Manilow, Rita
McNeill, etc.) et
ainsi être sur un pied d’égalité avec les stations
qui lui faisaient
concurrence (Béland, 1992).
Béland
fit remarquer que la station AM sœur de CFQR-FM présentait alors
de la musique
« moins récente », ce qui lui avait permis de faire
une certaine percée dans
le groupe d’âge de 35 à 54 ans. Durant cette même
période, dit-il, CFQR
avait « seulement été capable de conserver son
auditoire, mais que la
moyenne d’heures d’écoute de ce public avait baissé, ce
qui signifiait un
recul pour la station, considérant l’évolution de la
radio FM pour adultes,
qui perdait à la fois des auditeurs et des commanditaires qui
considéraient la
station comme étant surtout instrumentale et loin du style de
vie des années
1990 » (Béland, 1992, trad. libre).
Béland
souleva aussi le cas de WEZF-FM, de Burlington, de l’autre
côté de la frontière
américaine, qui représentait un solide concurrent,
puisque, non soumise aux règlements
canadiens, elle ne diffusait que de la chanson contemporaine douce pour
adultes,
attirant 90 700 auditeurs, dont 35 900 étaient des 35 à
54 ans (Béland,
1992). Béland soutint que « l’augmentation de la
concurrence sur le
marché est seulement la moitié du problème.
L’autre moitié du problème
peut venir de l’évolution du goût musical des auditoires
adultes
d’aujourd’hui » (Béland, 1992, trad. libre).
Durant
les années 1960, fit-il remarquer, l’« écoute
facile » eut du succès au
Canada et aux États-Unis, parce que les auditeurs aimaient Henry
Mancini et Ray
Conniff. Aujourd’hui, les baby boomers demandaient des émissions
différentes
et accordaient peu de valeur, sinon aucune, à la musique
instrumentale (ou
musique « d’ascenseur ») (Béland, 1992). La
station fit sa propre enquête
en 1991 pour arriver à la conclusion que moins de 5 % de la
population achetait
de la musique instrumentale, ce qui avait incité les compagnies
de disques à
en diminuer la production (Béland, 1992). C’étaient
maintenant des artistes
Nouvel Âge, comme Enya et Loreena McKennitt, qui avaient la cote
du public.
Cette tendance, selon Béland, obligeait CFQR à adopter
une nouvelle approche (Béland,
1992).
Une
fois de plus, Braide tenta de contrecarrer les plans de CFQR : il
écrivit
une lettre à la Mount Royal Broadcasting au nom de Standard
Radio, indiquant
que, depuis l’achat de la station en 1988, le diffuseur avait «
constamment
essayé d’ignorer la lettre et l’esprit des conditions inscrites
dans la
licence » (Braide, 1992, trad. libre). Il souligna que,
l’obligation de
diffuser de la musique instrumentale une fois levée par le CRTC,
la
programmation de CFQR deviendrait « identique à celle de
CJFM-FM » (Braide,
1992).
Cette
fois, cependant, les protestations contre la demande de CFQR furent
vaines et le
CRTC décida, le 4 septembre 1992, que la condition incluse dans
la licence de
Mount Royal Broadcasting stipulant « que le pourcentage de
la catégorie 5
[chansons] ne pouvait aucunement dépasser 65 %
hebdomadairement » pouvait
être abrogée (CRTC, 1992, trad. libre). En agissant ainsi,
le CRTC aida CFQR
à trouver une niche plus rentable sur le marché
montréalais.
Tendre
la main et alimenter la tension : la tempête de
verglas de janvier 1998
Comme
on l’a dit plus tôt, si un membre de la famille est dans une
situation
difficile, on oublie les conflits pour un temps et les autres membres
lui
tendent la main. Malheureusement, dans ce genre de cas, il y a souvent
un membre
qui refuse d’aider et qui, au contraire, rend la situation encore plus
difficile. Durant la tempête de verglas, le 9 janvier 1998, 200
tonnes de glace
jetèrent au sol les quatre tours de transmission de 675 pieds de
CJAD ; la
direction de la station chercha de toute urgence un moyen de continuer
la
diffusion de ses émissions, alors que Montréal vivait une
période où
l’information était plus essentielle que jamais. Une solution
était
d’utiliser la station sœur, CJFM-FM ; cependant, les directeurs de CJFM
s’inquiétaient de la perte possible de leurs propres revenus
publicitaires si
CJAD diffusait sur la fréquence FM. Ils proposèrent un
arrangement : les
chefs d’antenne de CJAD, Gord Sinclair, Victor Nerenberg, Ted Blackman
et Dave
Fisher, auraient droit à une capsule d’informations de 10
minutes à chaque
heure, durant l’avant-midi du 9 janvier et durant toute la fin de
semaine (Braide,
1998). Mais cela ne satisfaisait pas CJAD, qui voulait être en
ondes sans arrêt
pour bien servir ses auditeurs. CHUM ltée intervint alors et
offrit son aide.
D’abord, CJAD essaya de brancher l’ancien émetteur de 980 kHz de
CKGM à
son propre canal de 800 kHz ; cela s’avéra impossible, parce que
quatre des
six tours de CKGM étaient tombées. Quelques années
auparavant, la station
CFMB avait offert son émetteur de 1410 kHz libre à toute
station qui en aurait
besoin, lorsqu’elle était passée sur l’ancienne
fréquence de CJMS à 1280
AM (Hay 1999, p. 1). CJAD eut recours à cette solution et, le 10
janvier, elle
put reprendre sa diffusion. Le signal était cependant si faible
qu’on ne
pouvait le capter le soir dans la partie ouest de Montréal,
là où se
trouvaient la plupart des auditeurs de CJAD (Hay, 1999, p. 1). Le 17
janvier,
Braide publia une lettre dans The Gazette, expliquant,
entre
autres, les problèmes techniques actuels de CJAD et exprimant
l’espoir que
dans les jours à venir « une tour de 300 pieds serait
érigée à
l’endroit où nos tours de transmission sont tombées
», ce qui permettrait
à la station de diffuser à nouveau sur la
fréquence 800 (Braide, 1998). Mais
cela s’avéra une entreprise beaucoup plus difficile que
prévu et, quelques
jours plus tard, le 21 janvier, CJAD et CHUM en vinrent à une
entente
permettant à CJAD d’utiliser l’émetteur de 990 kHz de
CKGM tant que ce
serait nécessaire :
Étant
donné les problèmes techniques avec l’équipement
d’appoint sur 1410 kHz
et le temps nécessaire pour que les activités de CJAD sur
800 kHz puissent
reprendre, il est dans l’intérêt du public que Standard
conclue une entente
réseau avec CHUM, par laquelle CHUM déléguerait le
contrôle de l’horaire
de programmation de CKGM à Standard, et CKGM diffuserait le
service de CJAD de
façon temporaire (Standard Broadcasting et CHUM ltée
1998, p. 1, trad. libre).
Les
deux diffuseurs se mirent d’accord sur les huit points suivants :
1.
Standard demandera au
CRTC une licence réseau temporaire pour une période de 60
jours, afin de
fournir l’horaire de programmation pour CKGM, Montréal, comme
opérateur de réseau.
2.
CHUM demandera au CRTC
un amendement à sa licence pour CKGM, autorisant la station
à devenir
s’affilier au réseau temporaire exploité par Standard.
3.
Selon l’approbation
du CRTC concernant les applications qui précèdent, CHUM
délègue la
responsabilité de la programmation de CKGM à Standard
durant la période
couverte par cette licence réseau temporaire, jusqu’à 14
jours après que
CJAD aura repris son fonctionnement normal, ou jusqu’à la fin de
cette
entente, selon le cas qui arrivera en premier.
4.
CHUM utilisera les équipements
de CKGM et les gardera en bon état, telles qu’elles sont
actuellement, et
absorbera tous les coûts de l’entretien et des opérations.
Standard défraiera
tous les coûts inhérents au transfert de son signal de
programmation sur les
lieux de CKGM.
5.
En regard de cette
entente et en compensation pour l’acceptation par CHUM de diffuser la
programmation fournie par Standard sur CKGM, Standard accepte de payer
à CHUM
les sommes suivantes :
a)
Un paiement unique de
64 950 $, qui sera acquitté lorsque le CRTC aura approuvé
les applications qui
précèdent ; et
b)
Une somme de 61 500 $
par mois, qui sera payée à la fin de chaque mois durant
lequel cette entente
sera appliquée ; la somme sera calculée selon le nombre
de jours durant
lesquels la programmation de CJAD aura été
diffusée sur les ondes de CKGM
durant ce mois, en autant que cette somme s’applique pour pas moins de
4 mois.
6.
Standard doit faire
tous les efforts pour rebâtir son infrastructure de transmission
existante sur
800 kHz le plus rapidement possible, afin qu’elle puisse fonctionner
normalement. S’il s’avérait nécessaire, Standard
demandera un ou quelques
renouvellements de sa licence de réseau temporaire, pour
d’autres périodes
de 60 jours. Cependant, à moins d’une nouvelle entente entre les
parties,
cette entente cessera automatiquement dans six mois à partir de
la date
d’aujourd’hui.
7.
Quand CJAD pourra de nouveau avoir recours à ses propres
installations,
sa programmation sera diffusée simultanément sur les deux
fréquences de 800
et 990 kHz, pour une période transitoire de 14 jours, à
la suite de quoi le
contrôle de la programmation de CKGM retournera à CHUM.
Durant la période
suivante de 24 heures, durant laquelle CHUM aura le contrôle de
la
programmation sur CKGM, CHUM accepte de diffuser une annonce de service
public
aux deux heures, indiquant à ses auditeurs que le service de
programmation de
CJAD est maintenant disponible sur 800 kHz.
8.
Standard accepte d’identifier CHUM dans le cas de toute
réclamation à
propos de la programmation fournie ou diffusée ci-dessous
(Standard et CHUM ltée,
1998, p. 2, trad. libre).
Selon
le vice-président aux finances de CHUM, Taylor Baiden, cette
entente devait être
conclue, parce que sinon « il y aurait une perte
d’intérêt de la part
du public à cause de l’absence d’informations si la station
[CJAD] n’était
pas en ondes » (Baiden, 1998, trad. libre). En
réalité, CKGM ne possédait
pas le personnel ni les ressources pour fournir une couverture
appropriée de la
crise, alors que CJAD pouvait le faire.
Mais
ce ne fut pas la fin des problèmes. Bill Brownstein rapporta
dans The Gazette
au début de février que la fréquence 990 AM,
prêtée à CJAD, «disparut» le 4
février, la station ne pouvant plus émettre (Brownstein,
1998). Une fois le problème résolu, CJAD put continuer
à diffuser sur la fréquence
990 jusqu’au 29 mai, alors qu’elle retourna à sa position
originale. Bien
entendu, toutes les mesures prévues dans l’entente
mentionnée ci-dessus
furent appliquées par les deux entreprises, jusqu’à ce
que CJAD-AM retourne
à la fréquence 800.
Au
même moment, cependant, CIQC-AM, propriété de Mount
Royal Broadcasting, tenta
de profiter des déboires de CJAD et encouragea les auditeurs
à s’informer à
son antenne de l’évolution de la situation durant la
tempête de verglas, aidée
en cela par Jim Duff, un employé de CJAD. Au moment où la
tempête de verglas
commença, Duff animait l’émission Drive with Duff,
de 16 h à 19 h à
CJAD. Duff était convaincu que Standard Broadcasting avait
pris la
mauvaise décision en n’offrant pas la programmation de CJAD sur
CJFM. Il
manifesta publiquement son désaccord et CJAD le congédia.
Certains auditeurs
critiquèrent cette décision de CJAD ; Ron Lemish, un
pharmacien de Montréal,
téléphona par exemple à The Gazette
pour se plaindre d’avoir
été rapidement interrompu lorsqu’il avait voulu
manifester sur les ondes son
appui à Duff (Boone, 1998). Peu de temps après, CIQC
annonça que Jim Duff
serait l’animateur d’une nouvelle émission du matin, de 6 h
à 9 h : Morning
Drive with Duff commença effectivement à être
diffusée le 19 janvier.
L’« affaire Duff » n’améliora pas les relations
entre Standard et Mount
Royal.
Rob
Braide essaya de redorer l’image ternie de sa station dans une lettre
à The
Gazette le 17 janvier. Il souligna qu’il voulait faire le point
sur
certaines choses qui avaient été dites à propos de
CJAD (Braide, 1998). La
lettre mettait l’accent sur la ligne d’urgence de CJAD 24 heures par
jour,
permettant aux gens qui avaient besoin d’entrer en contact avec des
gens
susceptibles de les aider, sur les efforts des employés de la
station qui
parcouraient la ville afin de distribuer café et muffins, et sur
la diffusion
d’informations importantes comme les recommandations du Dr Joe Schwarcz
sur la
conservation des aliments. Dans cette lettre, cependant, Braide ne fit
aucune
allusion à Duff ni à l’entente avec CJFM ; il choisit
plutôt de refaire la
réputation de la station en soulignant son implication dans la
communauté.
Ces
exemples montrent que la comparaison des stations avec une grande
famille est
appropriée lorsqu’on décrit les relations entre les trois
diffuseurs, et
surtout leurs stations FM, tout au long des années 1980 et 1990.
Les trois
diffuseurs étaient unis par un but commun, faire progresser
l’industrie de la
radio anglaise plutôt faible à Montréal, mais ils
se battaient entre eux pour
se maintenir en tête du peloton et obtenir le plus d’argent
possible des
commanditaires. Bien que chacun reconnaisse qu’ils avaient tous un
rôle vital
à jouer, ils se surveillaient l’une l’autre, afin de s’assurer
que chaque
« membre de la famille » suivait les règles, et que
les territoires soient
clairement définis et protégés. Essentiellement,
lorsque CFQR essaya d’«
empiéter » sur le territoire de CJFM et de CHUM, celles-ci
s’assurèrent que
l’écriteau « Ne pas déranger » était
clairement visible. Lorsque Standard
Broadcasting faillit se perdre dans la tempête de verglas, sa
sœur CHUM ltée
n’hésita pas à se lancer à sa rescousse.
Cependant, la rivalité continua
entre Mount Royal Broadcasting et Standard Broadcasting, dont les
relations étaient
à tout le moins tièdes. Dans toute cette situation, le
CRTC, en veillant au
grain, s’assura que tout affrontement de taille soit
évité.
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Mise à jour le 29 juillet 2005
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