PQ Phonothèque québécoise
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Historique de la radio anglophone

CFCF devant les commissions Massey et Fowler dans les années 1950

par Melanie Fishbane et Mary Vipond

traduction de Michelle Bachand et Jean Bernard

Microphone CHYC (91 K)


   Extraits sonores

 

 

CFCF devant les commissions Massey et Fowler

dans les années 1950

 

par Melanie Fishbane et Mary Vipond

 

La Canadian Marconi Company aspire seulement à une liberté d’action raisonnable. Nous ne voulons pas d’argent venant des poches des contribuables, pas même de faveurs spéciales accordées à de plus anciennes formes de publication. Nous voulons avoir l’occasion de mieux servir le Canada, avec les autres diffuseurs, et de le faire en pleine connaissance des besoins et des désirs de notre communauté (Finlayson, 1956, p. 12, trad. libre).

 

Équipement de radiodiffusion portatif  de Marconi (135 K)

Canadian Wireless

 

 

Au début de 1950, la situation de la radio au Canada était confuse et conflictuelle. Les tensions qui s’échauffaient depuis les années 1930 entre les diffuseurs privés et la CBC, qui était non seulement le diffuseur public, mais aussi l’organisme régulateur pour tous, atteignirent un point de non-retour. Deux importantes commissions royales d’enquête traitèrent de la situation de la radiodiffusion durant les années 1950, et elles en arrivèrent à des conclusions remarquablement différentes. La première, la Commission royale d’enquête sur le développement national des arts, des lettres et des sciences (communément appelée commission Massey ou Massey-Lévesque), étudia un certain nombre d’activités culturelles et reliées à l’éducation, mais son rapport sur la radiodiffusion fut primordial en ce qui concerne la vie culturelle canadienne des années qui suivirent. La deuxième, la Commission royale d’enquête sur la radiodiffusion, ou commission Fowler, se concentra exclusivement sur la radiodiffusion dans le contexte des questions soulevées par l’arrivée de la télévision. Les deux commissions avaient le même objectif fondamental : s’assurer que les Canadiens reçoivent « les émissions les meilleures et les plus appropriées à tous les points de vue » (Massey, 1949-1951, p. 276, trad. libre). Mais certaines questions restaient sans réponse. Qui était le plus en mesure d’offrir une programmation véritablement adaptée au citoyen canadien « moyen » : le diffuseur public ou les diffuseurs privés ? Est-ce que la radiodiffusion était une industrie, comme aux États-Unis, ou bien un cartel public, comme en Grande-Bretagne ? Quel rôle devait jouer la radiodiffusion au Canada face à l’envahissement de la culture commerciale américaine ?

 

Un certain nombre d’universitaires ont étudié comment ces commissions ont répondu à ces questions (Peers, 1969 ; Peers, 1979 ; Raboy, 1990 ; Litt 1992). Nous analyserons ici les deux commissions d’un point de vue plus restreint, en examinant les présentations faites par S. M. Finlayson et d’autres autorités de la Canadian Marconi Co., les propriétaires de CFCF, la première station de radio canadienne. Ces personnes témoignèrent devant les deux commissions pour présenter le cas des diffuseurs privés qui voulaient étendre leur rôle dans le système canadien de radiodiffusion et contre la poursuite de la mise en place de règlements par la CBC. Les mémoires de la Marconi sont intéressants, parce qu’ils reflètent les préoccupations d’un diffuseur privé type qui se retrouve dans une position enviable : aucun autre n’a une expérience comparable dans l’histoire de la radiodiffusion au Canada.

 

Caricature (169 K)

CBT-caricature-4

 Canadian Broadcaster & Telescreen, Avril 1950

La commission Massey

 

La commission dirigée par Vincent Massey fut créée en 1949 par le gouvernement fédéral, et dotée du mandat de faire des recommandations sur l’état de la culture canadienne. Massey était le plus éminent membre de la riche famille Massey et un membre influent du Parti libéral. Il avait été conseiller auprès des organisateurs de la Ligue de radio canadienne, qui avait vivement proposé la création de la CBC, ambassadeur aux États-Unis et haut-commissaire à la cour de St. James. Par la suite, en 1952, il devint le premier Canadien à occuper le poste de gouverneur général (Raboy, 1990, p. 95). Les autres membres de la commission étaient Norman Mackenzie, président de l’université de Colombie-Britannique, Hilda Neatby, une éminente historienne de l’université de Saskatchewan, Arthur Surveyer, un ingénieur civil, et le père Georges-Henri Lévesque, un dominicain, fondateur et recteur de la faculté des Sciences sociales de l’université Laval (Raboy, 1990, p. 95 ; Bird, 1988, p. 209).

 

L’un des principaux sujets explorés par la Commission concernait la manière d’utiliser la radiodiffusion pour renforcer l’identité canadienne. Le point de départ, selon les commissaires, était que les ondes sont la propriété de l’État, et que les stations de radio ne peuvent fonctionner qu’avec l’autorisation du gouvernement fédéral. Mais de quoi devait être faite la politique gouvernementale en matière de radio ? Selon la Commission, il existait deux visions principales. La première présentait la radio comme un moyen de divertissement, « un sous-produit de l’industrie de la publicité ». Les commissaires rejetèrent ce point de vue, en précisant que la radio pouvait « être perçue comme ayant une influence sociale trop importante et trop périlleuse pour être ignorée de l’État qui, à l’époque moderne, assume de plus en plus la responsabilité du bien-être de ses citoyens » (Massey, 1949-1951, p. 276, trad. libre). Ils étaient de toute évidence plus favorables à la seconde vision, selon laquelle la radio était un cartel public et devait donc être utilisée au bénéfice de la société « pour l’éducation et l’ouverture d’esprit autant que pour le divertissement des citoyens » (Massey, 1949-1951, p. 276, trad. libre). La commission recommanda alors que la CBC garde le contrôle d’un seul système de radiodiffusion.

 

Quel rôle les stations privées pouvaient-elles jouer dans ce « cartel public » ? La commission souligna dans son rapport qu’elles devaient assurer une programmation radiophonique dans les régions plus isolées du pays, d’offrir, comme service à la communauté, de la publicité provenant de commanditaires locaux, et d’encourager et développer le talent local (Massey, 1949-1951, p. 281). Parce que les stations privées s’étaient fait une place dans la communauté, la CBC leur avait « permis » de continuer à diffuser leur programmation aussi longtemps que la CBC demeurerait en charge du système de radiodiffusion (Massey, 1949-1951, p. 281).

 

La Commission en arriva à cette conclusion malgré les mémoires de la Canadian Association of Broadcasters (qui représentait la majorité des diffuseurs privés) et des propriétaires de stations, comme le président de Marconi au Canada, S. M. Finlayson, qui présentaient une vision très différente de la radio, plus proche du modèle axé sur le marché et basé sur le divertissement. Finlayson affirma que cette approche faisait également de la radio un service aux citoyens canadiens conçu dans leur intérêt.

 

Dans son mémoire de 31 pages, présenté aux cours d’audiences tenues à Montréal, Finlayson souligna ce qu’il considérait comme la principale conception erronée du rôle des stations de radio publiques et privées. Selon lui, cinq facteurs ralentissaient le développement de la radiodiffusion depuis la création du réseau public, en 1932. Le premier facteur était la mauvaise interprétation de l’idée « d’aliénation du domaine public » qui, pour Finlayson, était utilisée comme une « excuse ou un prétexte pour justifier des lois ou des règlements restrictifs » (Finlayson, 1949, p. 5, trad. libre) et qui était basée sur la prémisse selon laquelle il n’y avait qu’un nombre limité de canaux disponibles.  Finlayson argumenta que cette vision était loin d’être la vérité et que ces limites n’étaient pas techniques mais plutôt économiques (Finlayson, 1949, p. 5) ; on ne pourrait parler d’« aliénation du domaine public » que si « le nombre de canaux était restreint de façon si marquée qu’une seule station pourrait fonctionner là où plusieurs existent actuellement » (Finlayson, 1949, p. 5, trad. libre). Il fit aussi remarquer que le champ de la radio FM avait été « à peine exploité », ce qui signifiait qu’il y avait encore de nombreux canaux disponibles : à Montréal, par exemple, cinq canaux étaient disponibles ; la CBC en voulait deux, ce qui en laissait trois aux diffuseurs privés. Et cela, sans parler la bande à ultra haute fréquence. Finlayson pria donc les commissaires de réexaminer ce concept et d’en venir à la conclusion que leurs craintes étaient « sans fondement » (Finlayson, 1949, p. 6).

 

Le deuxième point apporté par Finlayson concernait la terminologie employée dans la définition de ce qu’était une station « publique » et une station

« privée ». Les prétendues « stations privées », dit-il, étaient totalement sous le contrôle du gouvernement, même si « leur existence concrète était le fruit des investissements d’un groupe de citoyens », puisque c’était le gouvernement fédéral qui accordait les licences (Finlayson, 1949, p. 7, trad. libre). Il poursuivit avec un jeu de mots ironique : les supposées stations « privées » ne survivraient pas si elles ne « servaient pas le public » (Finlayson, 1949, p. 8). Le réseau « public », pour sa part, malgré le fait qu’il était financé par les deniers publics était en réalité contrôlé par le gouvernement et pouvait fonctionner indéfiniment sans rendre de comptes au public. Ainsi, conclut-il, « les stations privées sont, de fait, bien plus publiques que la station publique

elle-même » (Finlayson, 1949, p. 8, trad. libre).

 

Le troisième « malentendu fondamental », selon Finlayson, se rapportait à la vieille idée selon laquelle la radiodiffusion devait inévitablement être un genre de monopole : cette vision n’avait aucun fondement et ne s’appliquait plus parce que le ministère du Transport avait l’autorité nécessaire pour empêcher une entreprise privée de contrôler seule l’industrie. Finlayson précisa que, cependant, la création d’un monopole était possible si les diffuseurs privés étaient condamnés à rester petits ; puis il revint à la question stations publiques/stations privées en soutenant que les références « amusantes » des commissaires aux stations « privées » considérées comme des stations « communautaires » appuyait son point de vue. À quoi correspondait d’ailleurs, dans les faits, le concept de « communauté » ? Les ondes radio pouvant voyager aussi loin que New York, une « communauté » ne pouvait donc pas être réduite géographiquement. Finlayson conclut donc qu’il n’y avait aucune raison « valable » de réduire la taille d’une « communauté radiophonique » en deçà des limites techniques du média lui-même, et il s’érigea contre « des limites arbitraires de pouvoir », parce qu’elles n’étaient pas dans l’intérêt du public.

 

La quatrième question abordée par Finlayson portait sur l’accent mis par la CBC sur la nécessité que la radio, en tant que service public, fasse connaître les talents locaux et engage des musiciens professionnels par l’entremise d’un nombre limité d’agences autorisées. Finlayson préconisait un juste milieu : ne pas donner une trop grande place à des artistes « qui tireraient avantage à présenter leurs spectacles dans des auditoriums d’écoles et à travailler en salle de répétion », sans non plus dépenser beaucoup d’argent pour payer des professionnels (Finlayson, 1949, p. 11). Selon lui, la CBC intervenait trop dans les choix d’émissions des stations privées. « On parle beaucoup de service à la communauté, conclut-il, mais on souligne trop peu l’importante contribution des stations privées au développement de la radio depuis ses débuts […] » (Finlayson 1949, 12, trad. libre).

 

Dernière critique apportée par Finlayson : la « fausse conception » qui affirme qu’un réseau privé ne peut pas travailler dans l’intérêt des citoyens (Finlayson, 1949, p. 12). Selon lui, un tel réseau ne pouvait que profiter aux régions du pays où il n’y avait pas de station de radio, et ferait aussi augmenter considérablement le nombre des auditeurs dans les autres régions. Bref, un réseau privé bien géré serait à l’avantage des citoyens et renforcerait la diffusion canadienne, plutôt que de l’affaiblir (Finlayson, 1949, p. 13).

 

Finlayson recommandait donc que l’organisation de la radiodiffusion canadienne comporte trois volets : les stations de propriété privée, un réseau national et une autorité indépendante dont la responsabilité serait « d’assurer que les auditeurs canadiens aient accès à une radio de grande qualité et la plus diversifiée possible » (Finlayson, 1949, p. 20, trad. libre). Les diffuseurs privés, pour croître, compteraient sur leurs propres ressources financières, et leur service serait axé sur les intérêts particuliers de la communauté, ce qui était leur rôle « naturel ». Ils n’auraient de compte à rendre à une autorité supérieure qu’en ce qui concerne des sujets comme « l’allocation des canaux, le maintien de standards techniques et toutes les règles nécessaires pour assurer ce qui peut être décrit comme un niveau de moralité acceptable » (Finlayson, 1949, p. 18, trad. libre).

 

Le Canada, selon Finlayson, avait besoin d’un diffuseur d’État et dont la principale responsabilité serait de créer et de développer une identité canadienne. Cependant, cet organisme national ne devait exercer aucune activité commerciale, afin d’arrêter la « spirale » des déficits des stations privées. Et cet organisme devait être indépendant du diffuseur national.

 

L’autorité indépendante, nécessaire, serait la « gardienne de l’intérêt

public ». Cette autorité reconnaîtrait que « nul groupe d’auditeurs ne devrait être négligé » (Finlayson, 1949, p. 20, trad. libre). Finlayson soutint que la création d’un tel organisme pourrait permettre de régler les problèmes touchant la législation sur la radio et, surtout, remédier à la complète absence de « progrès » dans ce secteur.

 

L’un des règlements fédéraux alors en vigueur et contraire à l’intérêt public, du point de vue de Finlayson, était lié à la réticence de la CBC à partager les canaux FM avec les entrepreneurs privés. Il en résultait qu’on avait attribué des canaux FM à certaines stations AM importantes, comme CFCF, mais que celles-ci ne pouvaient les utiliser pour de nouvelles émissions, mais plutôt uniquement pour la rediffusion d’émissions AM existantes. Finlayson rejetait catégoriquement cette politique, parce que « la modulation de fréquence, ainsi attachée à son parent d’amplitude modérée, ne peut qu’être l’écho des émissions de la station AM » ; on se privait ainsi de plusieurs occasions d’améliorer le service radiophonique (Finlayson, 1949, p. 22).

 

Pour Finlayson, l’autorité régulatrice indépendante devait en quelque sorte jouer le rôle d’une « cour d’appel », qui pourrait rendre un verdict bien pesé sur des questions comme la croissance de la radio FM (Finlayson, 1949, p. 27). Ce « gardien » ne serait pas un individu, mais un petit groupe de gens nommés par divers ministères du gouvernement fédéral et par l’entreprise privée, et resterait indépendant des autres instances gouvernementales et des organismes d’affaires, en n’ayant à répondre de ses décisions que devant le ministre ou le Parlement.

 

En dépit « de la franchise et de la clarté » des arguments des diffuseurs privés, comme Marconi par la voix de Finlayson, la Commission n’y répondit pas favorablement :

 

Nous croyons que la législation sur la radiodiffusion canadienne est faite dans le but d’offrir un système national, et qu’elle le permet ; que les stations privées ont reçu leur licence seulement parce qu’elles peuvent jouer un rôle utile dans ce système ; et que le contrôle qu’exerce la CBC exerce sur la diffusion dans le réseau, sur l’octroi et le renouvellement des licences, sur la publicité et les autres questions reliées à la radiodiffusion est l’expression de son pouvoir sur toutes les politiques et les programmes de la radiodiffusion au Canada (Massey, 1949-51, p. 283, trad. libre).

 

Les conclusions de la Commission étaient basées sur l’idée que la radiodiffusion n’était pas une industrie, mais un service public ; si les entreprises privées pouvaient avoir une place dans ce service, elles ne devaient pas en être les premiers responsables. La Commission recommanda donc que la CBC continue d’avoir la charge de la réglementation de la radiodiffusion. Elle rejeta aussi les demandes des diffuseurs privés qui voulaient créer des réseaux locaux, parce qu’elle croyait qu’une telle approche conduirait à une américanisation de la radio canadienne et à l’établissement d’une concurrence déloyale envers la CBC au niveau national.

 

La Commission reconnut cependant que certaines demandes des stations privées étaient légitimes. Elle recommanda que les entreprises privées de radiodiffusion ne soient plus uniquement informées des discussions de la CBC sur des sujets concernant leurs intérêts, mais qu’elles aient le droit de participer et le droit d’en appeler à une Cour fédérale « d’une erreur judiciaire majeure » (Massey, 1949-1951, p. 289, trad. libre). Elle donna raison aux diffuseurs privés qui affirmaient que la durée d’une licence (trois ans) était trop courte, et elle recommanda que celle-ci soit portée à cinq ans et qu’une licence ne puisse être annulée que pour cause de « non-observation de conditions clairement définies » (Massey, 1949-1951, p. 290, trad. libre). Fait encore plus significatif, les commissaires recommandèrent que les stations locales de CBC cessent de faire la concurrence aux diffuseurs privés quand elle sollicitait des commandites ; ils réaffirmèrent, cependant, que la diffusion d’émissions commanditées sur le réseau national était justifiée, puisque la CBC avait besoin de ces revenus, que de nombreuses émissions populaires ne pouvaient être mises en ondes que par ce moyen, et que les auditeurs se tourneraient vers les diffuseurs américains si ces émissions n’étaient pas diffusées par la CBC.

 

Bref, si la commission donna suite à certaines plaintes des diffuseurs privés, elle resta inébranlable sur le point le plus important : la nécessité de l’existence d’un seul système national, dont la CBC devait continuer d’avoir la charge. Elle refusa l’argumentation de Finlayson sur le fait que les diffuseurs privés offraient un service public important ; selon les commissaires, la véritable priorité des diffuseurs privés était d’ordre commercial, et l’objectif d’un service public de radio ne pouvait être atteint que par la CBC :

 

Nous sommes […] convaincus que les propositions des stations privées mèneraient à une croissance de la tendance commerciale dans les émissions de radio, alors qu’elle est déjà trop présente et qu’elle a été le sujet de plusieurs plaintes. Nous sommes particulièrement étonnés que peu de représentants des stations privées qui se sont présentés devant la Commission aient admis avoir quelque responsabilité que ce soit au delà du divertissement et des services à la communauté. Pour la plupart d’entre eux, le gouvernement ne devrait pouvoir subventionner que des émissions culturelles, et les stations privées devraient avoir toute liberté pour gérer leur entreprise commerciale, en étant soumis qu’aux limites dictées par la décence et le bon goût. Nous ne critiquons pas cette attitude : nous affirmons simplement que les intérêts de ceux qui, tout à fait honnêtement, partagent cette vision des choses ne sont pas d’abord le rôle public que doit jouer la radio (Massey, 1949-1951, p. 284-285, trad. libre).

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 Canadian Broadcaster & Telescreen, 21 février 1951

La commission Fowler

 

En 1956, Finlayson, accompagné de J. A. Hammond (directeur), de R. E. Misener (directeur adjoint), et de J. C. Douglass et E. W. Farmer (ingénieurs), se présenta devant une autre commission royale d’enquête sur la diffusion, encore une fois pour discuter du rôle des diffuseurs privés au Canada. La commission Fowler, du nom de son président, Robert Fowler (avocat et membre du Parti libéral, qui avait travaillé au Wartime Prices and Trade Board et à la Commission royale d’enquête Rowell-Sirois sur les relations entre le Dominion et les provinces), était également composée d’Edmond Turcotte (un éditeur de quotidien qui avait aussi travaillé au Wartime Prices and Trade Board et qui, au moment de sa nomination, était ambassadeur du Canada en Colombie) et de James Stewart (président de la Banque canadienne de commerce) (Bird, 1988, p. 250).

 

La commission Fowler avait pour objectif d’établir et de recommander au gouvernement une politique concernant la télévision ainsi que diverses mesures — pourcentage adéquat d’émissions canadiennes des diffuseurs publics et privés, octroi et contrôle des licences des stations privées, financement et besoins de gestion de la CBC (Raboy, 1990, p. 119). Pour le gouvernement, deux recommandations de la commission Massey devaient être conservés : l’octroi de licences devait rester sous le contrôle du Parlement, et l’organisme responsable de la diffusion au Canada devait être une agence publique de production et de distribution des émissions (Raboy, 1990, p. 119).

Finlayson voulait aborder certains des points qu’il avait soulevés à la commission Massey-Lévesque en 1949 — le problème de disponibilité de canaux de diffusion, la définition d’« intérêt public » (et qui en était le gardien) et l’établissement d’un organisme indépendant et impartial ayant la responsabilité de la diffusion au Canada. À cela s’ajoutaient quelques nouveaux arguments en réponse aux différentes préoccupations du gouvernement fédéral au milieu des années 1950. À l’époque, le gouvernement fédéral attachait beaucoup d’importance à la « qualité » d’une programmation canadienne « valable » ; de plus, il fallait établir qui, des diffuseurs publics ou privés, devait produire ces émissions. Finlayson était d’accord : on avait besoin, au Canada, d’un organisme responsable de la réglementation de la diffusion au pays ; mais selon lui, cet organisme devait exercer un contrôle beaucoup moins direct sur les émissions que celui que la CBC exerçait déjà ou voulait exercer :

 

Je suis d’avis que le gouvernement est le serviteur et non pas le maître des citoyens. Je suis aussi d’avis qu’il est préférable que le rôle du gouvernement soit moins important. Je comprends la nécessité d’une certaine forme de gouvernement, mais je crois que, lorsque le gouvernement se mêle d’une question très controversée et presque sans réponse — que sont une « bonne » radio et une « bonne » télévision pour le Canada, et quel est l’avenir de ces moyens de diffusion ? — le gouvernement outrepasse son rôle (Finlayson, 1956, p. 7-8, trad. libre).

 

Finlayson, en comparant la situation à celle de la presse (la « liberté » de presse) tenta d’expliquer pourquoi et comment le succès d’une émission dépend en fait du public. Quand les gens cessent de s’intéresser à quelque chose, dit Finlayson, ils se tournent vers autre chose. « Les individus ont le droit de décider ce qui est utile et désirable dans le monde tel qu’ils le voient, et de choisir quoi penser et comment vivre. » (Finlayson, 1956, p. 5-6, trad. libre) Le gouvernement devait « guider » et « influencer » le peuple, mais pas lui imposer une vision. Selon Finlayson, c’était aux citoyens de décider du sort des diffuseurs privés — en d’autres mots, les diffuseurs privés n’avaient pas la responsabilité de fournir des émissions canadiennes, seulement des émissions populaires.

 

Citant la commission Massey, Finlayson s’opposa de nouveau à la conception qui donnait le droit au gouvernement de juger de la valeur des émissions : il n’existait aucun arbitre totalement objectif du « bon goût en art » (Finlayson, 1956, p. 9, trad. libre). Si les diffuseurs privés existaient, c’était selon lui pour fournir un choix aux auditeurs canadiens ; et il était erroné de croire que les diffuseurs privés pouvaient, de quelque façon —une programmation américaine ou de style américain —, nuire à l’avenir de la culture canadienne et au bien-être de la population. Finlayson ne voyait pas l’influence américaine comme étant un grand danger pour l’identité nationale canadienne ; il croyait plutôt que le plus grand danger venait de nos « pauvres productions malhabiles » (Finlayson, 1956, p. 9, trad. libre).

 

Qui devait assurer la qualité des émissions ? Voilà où était le principal désaccord. La discussion suivante entre Finlayson et Fowler l’illustre bien :  

 

Le président : Croyez-vous que le gouvernement se doit aussi de répondre à la volonté du peuple ?

Finlayson : Beaucoup moins, Monsieur le président, que les administrateurs de station privée.

Le président : Je ne pense pas à l’administration ; je parle de lignes de conduite.

Finlayson : Il s’agit bien de cela ; et j’ai aussi l’impression que c’est en partie à cause du concept irréaliste vers lequel nous avons graduellement glissé où une grande partie des gens semblent croire que, parce que le gouvernement fait ou décide ceci ou cela, c’est foncièrement bien (Finlayson and Fowler, 1956a, p. 8, trad. libre).

 

Finlayson affirma, comme il l’avait fait devant la commission Massey, que les stations privées avaient beaucoup plus intérêt que la CBC à répondre à la volonté du peuple, à celle des auditeurs ; en d’autres mots, qu’ils étaient plus prêts et plus à l’écoute des véritables besoins des Canadiens.

 

Finlayson fit quatre recommandations. Premièrement, il supplia la Commission de permettre aux détenteurs d’une licence de radio (et de télévision) de fonctionner comme ils le voudraient, sans aucune ingérence gouvernementale. Deuxièmement, il demanda la permission de créer un réseau privé national, parce qu’il croyait que cela était « nécessaire au développement de la radio au Canada » (Finlayson, 1956, p. 13, trad. libre).

 

Les deux autres recommandations concernaient le développement de la CBC et son avenir. Il demanda à la commission de « réévaluer » l’efficacité de la CBC et la possibilité de changer ses directives sur la programmation. En se référant aux trois objectifs de la commission Massey à propos de la CBC, Finlayson arguait que celle-ci avait échoué. Par exemple, si l’on revoyait le premier de ces objectifs — rejoindre adéquatement toute la population —, on notait que si des régions éloignées avaient maintenant accès à la radio, c’était grâce aux diffuseurs privés et que, en fait, la CBC ne faisait que répéter ce qui se faisait ailleurs. Pour ce qui est du deuxième objectif — fournir au talent canadien suffisamment d’occasions de se manifester —, Finlayson insista que le réseau de la CBC, en réalité, « étouffait » le talent canadien en remettant la production d’émissions « entre les mains de quelques personnes seulement ». Il en résultait, continua-t-il, « que les débouchés étaient limités au minimum ». Finlayson fit enfin remarquer qu’on ne pouvait atteindre le troisième objectif de la commission Massey — la résistance au pouvoir de la culture américaine au Canada — en limitant le nombre de stations (de télévision), parce que, ce faisant, on encourageait les Canadiens à se tourner vers les États-Unis. Comme la CBC avait failli à sa tâche, elle devait se limiter à la production d’émissions et se concentrer sur « des émissions culturelles entièrement canadiennes qui, autrement, ne seraient peut-être pas créées » (Finlayson, 1956, p. 15, trad. libre).

 

Dans ses recommandations, la commission Fowler fut un petit peu plus ouverte aux diffuseurs privés que la commission Massey. Les commissaires établirent les quatre conclusions suivantes :

 

1. l’actuel système mixte canadien de propriété publique et privée est appelé à se maintenir ;

2. l’actuelle agence gouvernementale peut se développer, comme le Canada se développe, mais ses fonctions ne progresseront pas au point de procurer tous les services de radio et de télévision aux Canadiens ;

3. chacune des stations privées devrait avoir à justifier la reconduction de sa licence et une piètre performance pourrait leur faire perdre leur licence ; mais les diffuseurs privés devraient arrêter de se préoccuper du spectre de la nationalisation qui les a rendus soupçonneux et craintifs dans le passé ;

4. dans un avenir prochain, nous continuerons à avoir un seul système de diffusion duquel toutes les stations de radio et de télévision canadiennes, publiques et privées, présentes et futures seront partie intégrante, sous la réglementation et le contrôle d’une agence représentant les intérêts du public et responsable devant le Parlement (Fowler, 1957, p. 13, trad. libre).

 

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que la commission Fowler accepta enfin la demande des diffuseurs privés : les deux rôles de la CBC — production d’émissions, et réglementation et contrôle — ne devaient pas appartenir à un même organisme. Elle recommanda la création d’une agence publique, responsable devant le Parlement, qui serait chargée de « tout ce qui concerne la diffusion canadienne », et qui « ne devait pas faire partie de la Canadian Broadcasting Corporation ». CBC autant que les stations privées devraient répondre de leur fonctionnement devant le nouvel organisme (Fowler, 1957, p. 90). Certains, à la CBC, interprétèrent cette recommandation comme étant en quelque sorte une division de la CBC en deux parties ; en réalité, c’était plutôt ce que les diffuseurs privés avaient demandé depuis des années : une agence indépendante. En effet, moins d’un an et demi plus tard, le gouvernement conservateur nouvellement élu créa le Board of Broadcast Governors (BBG), le prédécesseur de l’actuel Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

 

Finlayson ne réussit pas à convaincre les commissions Massey et Fowler que les diffuseurs publics servaient le mieux l’intérêt public parce qu’ils étaient plus près et plus à l’écoute des citoyens. Cependant, les diffuseurs privés réussirent, durant les années 1950, à convaincre le gouvernement que la CBC ne devait plus être l’organisme de réglementation de la diffusion. Dans cette décennie cruciale qui vit l’aube de la télévision, le système canadien de diffusion fut, en réalité, scindé en deux — public et privé —, et la voie fut pavée pour la domination grandissante du secteur privé par la suite.

 

 

Références

 

 

Bird, Roger, 1988. Documents of Canadian Broadcasting. Ottawa : Carleton University Press.

 

Finlayson, S. M., 1949. Brief to be presented by Canadian Marconi Company to the Royal Commission on National Development in the Arts, Letters and Sciences at its hearing in Montreal, November 1949, Archives nationales du Canada, MG 28, ser. III 72, vol. 77.

 

Finlayson, S. M., 1956. To the Royal Commission on Broadcasting, April 15, 1956, National Archives of Canada, MG 28, ser. III 72, vol. 77.

 

Finlayson, S. M., 1956a.  CMC Testimony Before the Radio Commission on Broadcasting, 1956, National Archives of Canada, MG 28, ser. III 72, vol. 77.

 

Fowler, Robert M., 1957.  Report of the Royal Commission on Broadcasting. Ottawa : Edmond Cloutier.

 

Litt, Paul, 1992. The Muses, the Masses, and the Massey Commission. Toronto : University of Toronto Press.

 

Massey, Vincent, 1949-19551. Report of the Royal Commission on National Development in the Arts, Letters and Sciences. Ottawa : Edmond Cloutier.

 

Peers, Frank, 1969. The Politics of Canadian Broadcasting, 1920-1951. Toronto : University of Toronto Press.

 

Peers, Frank, 1979. The Public Eye: Television and the Politics of Canadian Broadcasting, 1952-1968. Toronto : University of Toronto Press.

 

Raboy, Marc, 1990. Missed Opportunities: the Story of Canadian Broadcasting Policy. Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press.

 


Projets réalisés
Historique de la radio anglophone au Québec

CFCF : les premières années de la radio (voir aussi le texte Anecdotes...)

CFCF devant les commissions Massey et Fowler

CFCF et quelques controverses

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Les relations entre les stations anglaises de Montréal

Liste chronologique des stations radiophoniques de langue anglaise au Québec

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Mise à jour le 29 juillet 2005

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