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Phonothèque québécoise Musée du son Sauvegarder, documenter et diffuser le patrimoine sonore |
Historique de la radio anglophone |
par Melanie
Fishbane et Mary Vipond
traduction de Michelle Bachand et Jean Bernard
J. Arthur Dupont, fondateur de CJAD (181 K)
L’histoire de
la radio de
langue anglaise à Montréal est particulière, car
elle diffère de celle de la
radio de langue anglaise du reste du Canada. À Montréal,
les stations ont une
responsabilité supplémentaire : être à
l’écoute des besoins d’un
auditoire anglophone dans une société d’abord
francophone. Déjà dans les
années 1940, J. Arthur Dupont, le fondateur francophone de CJAD,
en était
conscient ; et cette réalité est devenue plus
évidente depuis que la
communauté anglophone a pris conscience qu’elle est une
minorité. Il ne faut
cependant pas exagérer cet aspect : l’évolution de
CJAD s’est faite,
en général, parallèlement à celle des
autres stations AM du Canada, et
l’importance du rôle de la station au sein de la
communauté n’est pas un
fait exceptionnel. D’ailleurs, dès la mise en vigueur de la
première loi sur
la radiodiffusion, en 1932, les stations privées, locales,
avaient pour mandat
de desservir la communauté où elles s’étaient
implantées, alors que CBC/Radio-Canada
se devait d’être un réseau national. CJAD a ceci de
particulier : elle
a réussi à dominer le marché de la radio de langue
anglaise à Montréal. Ses
gestionnaires en ont fait la « Heritage Station »,
celle en qui les
Montréalais de langue anglaise peuvent avoir confiance
« dans les bons
moments… et dans les moments difficiles… » (CJAD
in
Brief, 2000, trad. libre).
Comme la plupart des
stations de
radio de l’époque,
au moment de sa fondation, CJAD offrait aux Montréalais les
informations, la météo
et des éditoriaux, de même que des programmes de
divertissement pour tous les
âges. En d’autres mots, elle voulait offrir un ensemble
d’émissions variées
qui pourraient attirer le plus vaste auditoire possible. Au
cours des
années,
cependant, la programmation de la station dut s’adapter à divers
changements.
Avec l’arrivée, au milieu des années 1970, de la radio FM
— et la création
d’une station sœur, CJFM-FM (Mix 96) —, CJAD-AM dut se
concentrer sur
ce
qu’elle pouvait faire de mieux, c’est-à-dire l’actualité
et les émissions
d’informations, laissant la musique populaire à la station FM.
Les deux
stations font partie d’un grand réseau, Standard Broadcasting,
ayant des
stations non seulement à Montréal, mais aussi à
Toronto, à Ottawa, à
Calgary, à Edmonton, à Vancouver et à Winnipeg.
Malgré tout, puisque les
deux stations, AM et FM, diffusent seulement en anglais, leurs
objectifs sont
les mêmes : fournir aux Montréalais anglophones une
voix qui contribue à
raffermir l’appartenance à la communauté. Avec une
station AM et une station
FM, CJAD s’assure de rejoindre les Montréalais de langue
anglaise de divers
milieux économiques, démographiques et culturels.
Cet article
parcourt, en bref, l’histoire de CJAD et se
concentre sur l’évolution de sa programmation. Il montrera ainsi
comment CJAD
est un exemple de l’évolution de la radio AM depuis la
Deuxième Guerre
mondiale et illustrera la nature unique de la radio anglaise à
Montréal.
Il n’existe
malheureusement pas beaucoup d’information
sur les premières années de CJAD. En cela, CJAD n’est pas
unique : les
gens qui travaillent à la radio conservent assez peu les
nombreuses (et éphémères)
émissions qu’ils produisent, entre autres parce que l’espace est
souvent
restreint. De plus — et c’est arrivé à CJAD —, le feu
peut facilement
faire disparaître des boîtes de documents. Ainsi, une
grande partie des
informations recueillies ici proviennent des dossiers de CJAD
aux
Archives
nationales du Canada, des dossiers du Conseil de la
radiodiffusion et
des télécommunications
canadiennes (CRTC) et d’une cassette audio que les employés de
CJAD enregistrèrent
au moment du cinquantième anniversaire de la station, en 1995.
Il est important
de savoir que les informations fournies par les personnes
interviewées sont tirées
de leur expérience personnelle et que, souvent, elles ne peuvent
être vérifiées
à l’aide de documentation écrite. Cela, cependant, ne
rend pas leur témoignage
moins utile que ce qu’on trouve dans les archives. En fait, les
témoignages
de ceux qui ont travaillé à CJAD nous éclaire
beaucoup sur la station et ceux
qui ont collaboré à en faire ce qu’elle est aujourd’hui.
Depuis les
débuts de la radio, CJAD a tenté de maintenir
une réputation de station de qualité. Dans un
mémoire remis en 1985 au CRTC,
Allan Slaight, propriétaire de CJAD et de CJFM, indiquait que
l’une des
forces de la station était « la compétence et
le professionnalisme des
gens qui produisent une programmation de nouvelles et d’affaires
publiques
d’une qualité exceptionnelle ». Selon Slaight, les
Montréalais pouvaient se
tourner vers CJAD pour trouver « les valeurs communes
présentées d’une façon
équilibrée » (Slaight, 1985, p. 26, trad. libre).
Évidemment, ce discours,
devant le Conseil, avait pour objectif le renouvellement de la
licence
de CJAD,
et Slaight voulait également justifier la transaction
controversée qui en
avait fait le nouveau propriétaire de la station. Mais cet
accent sur le
professionnalisme de CJAD et sa force dans le secteur de
l’information
n’était
pas nouveau : c’est dans cette optique que la station
s’était développée
depuis 1945. C’est ce que l’on note dans les propos de Brian
Nelson,
l’un
des pionniers de CJAD :
Le jour où le microphone s’est ouvert pour la première fois, mon cœur a voulu sortir de ma poitrine, parce que je connaissais la réputation d’excellence de la station et des gens qui y travaillaient, comme Paul Reid. J’étais très fébrile à la perspective de plonger et d’accepter le poste, une fois que j’avais [rires] accepté de le faire. Mais j’ai réussi à y faire mon chemin et ça a été très agréable (Holder et Walter, 1995, côté 1, trad. libre).
Melanie King témoigne de son arrivée à CJAD un peu dans les mêmes termes :
CJAD
était une étape importante pour moi. CJAD signifiait que
j’avais réussi.
J’étais à CJAD et c’était de la vraie radio, par
comparaison avec
certaines des stations où j’avais travaillé. J’avais
très peur. Je
voulais dire et faire ce qu’il fallait, et je crois que j’étais
trop effrayée
pour dire quoi que ce soit de cohérent la première fois
que je suis entrée en
onde (Holder et Walter, 1995, côté 2, trad. libre).
Dave Patrick,
qui passa de CJOH-TV (Ottawa) à CJAD affirme
pour sa part : « Je ne crois pas que j’aurais quitté la
télévision pour
retourner à la radio, sauf pour travailler à CJAD.
C’était la
station. Elle avait la réputation d’être une entreprise
solide. » (Holder
et Walter,1995, côté 2, trad. libre).
Ce ne sont que
quelques témoignages choisis, mais ils reflètent
bien la réputation de CJAD dans l’industrie de la radiodiffusion
montréalaise
de langue anglaise : une programmation de qualité et un
personnel compétent.
Dans leurs
témoignages, les anciens employés de CJAD
parlent avec chaleur des premières années de la station,
et de son propriétaire
et fondateur, J. A. Dupont (dont les initiales se retrouvent
dans
l’appellation CJAD). Par exemple, la date — 8 décembre, jour de
l’Immaculée-Conception
— de la première diffusion à CJAD, en 1945, était,
semble-t-il, symbolique
pour J. A. Dupont. Est-ce un mythe ou un fait réel ? Cela n’a
pas
d’importance : ce qui compte, c’est que c’est une partie de
l’histoire orale de la station. Selon H. T. (Mac) McCurdy,
directeur de
la station avant de devenir président de Standard Broadcasting
au milieu des
années 1970, J. A. Dupont avait choisi cette date parce qu’il
était très
religieux :
Biography 1 (Dupont) Biography 2 (Dupont)
Eh
bien, le souvenir que j’ai du fondateur de la station, J. Arthur
Dupont, est
celui d’un Canadien français catholique, très religieux,
et je crois qu’il
a choisi cette date pour des raisons précises, à cause de
ses propres
croyances. (Holder et Walter, 1995, côté 1, trad.
libre)
Jimmy Tapp
décrit ainsi les réceptions organisées par J.
A. Dupont pour célébrer l’anniversaire de la
première radiodiffusion de la
station :
Un des meilleurs souvenirs que j’ai des célébrations à CJAD, c’est à propos du 8 décembre de chaque année. J. Arthur Dupont, mon mentor, je dirais même un des meilleurs radiodiffuseurs du Canada et un homme de qualité […] empruntait à pied la rue de la Montagne vers Sainte-Catherine, ensuite Sainte-Catherine jusqu’à Peel, puis montait Peel vers la montagne et se rendait jusqu’à la croix. C’était sa façon de marquer l’anniversaire, il faisait ce pèlerinage chaque année. Ensuite, c’était la fête. Les réceptions qu’il avait l’habitude d’offrir dans le vieil hôtel LaSalle, rue Drummond, faisaient l’envie de tous les Montréalais (Holder et Walter, 1995, côté 1, trad. libre).
Dans les
premiers temps, les studios étaient logés dans
l’édifice de la Légion canadienne,119, rue de la
Montagne, et l’émetteur
était situé à Brossard. Dès le début
la fréquence était de 800 KHz ; la
puissance de 1000 watts passa à10 000 watts en 1955 puis
à 50 000 watts en
1964. Si, sur le plan technique, il n’y eut aucun problème, les
choses furent
apparemment moins faciles à d’autres points de vue. Selon
McCurdy, le type de
programmation et le choix d’un directeur pour la station firent
problème :
À
l’origine, le concept de la station était un mélange
d’émissions locales
et d’autres provenant du réseau américain CBS : vous
savez, des émissions
comme Lux Radio Theatre. À la dernière minute, la
CBC […] refusa
cette affiliation à CBS. CKAC l’avait obtenue, mais, en tant que
station
francophone, elle voulait abandonner ces émissions anglaises et
ne diffuser
qu’en français. Étant donné cette espèce de
sabotage de dernière heure,
nous sommes arrivés en ondes en quelque sorte en boitant et,
après deux ou
trois jours, Jack Kent Cooke, qui dirigeait la station à
succès CKEY à
Toronto, vint à notre secours. Presque du jour au lendemain,
CJAD devint un
clone de CKEY, avec ce qui était un nouveau concept à la
radio commerciale à
cette époque, un concept appelé « blocs de
programmation ». Plutôt que de
petites émissions de 15 minutes, on diffusait des
émissions comme Make
Believe Ballroom, Club 800, et All Time Hit Parade, qui
duraient
une ou deux
heures, avec des nouvelles à chaque heure […]. Jack Cooke avait
une
motivation cachée, je crois qu’il espérait se porter
acquéreur de la
station. Donc, alors que CJAD attirait des auditoires de plus en
plus
nombreux,
une bataille pour le contrôle avait lieu dans les coulisses.
Mais
Dupont gagna
cette bataille, et nous avons poursuivi nos activités sans
vraiment nous
soucier de ce qui s’était passé (Holder et Walter, 1995,
côté 1, trad.
libre).
Dupont voulait
bâtir une station qui mettait l’accent sur
une programmation de qualité, en partie américaine, qui
allait du
divertissement à l’information. Avec l’aide de Cooke, la station
commença
à se modeler sur CKEY, de Toronto. Dupont était d’accord
pour faire
l’essai de cette programmation d’un genre nouveau qui
réussissait à
attirer l’auditoire. On ne sait pas au juste quel temps
d’antenne fut
réservé
aux émissions montréalaises durant cette période,
mais selon Bill Roberts,
ancien animateur du matin à CJAD, la communauté
montréalaise était très
importante pour Dupont :
Arthur avait du flair et connaissait bien son métier. Et il comprenait parfaitement que la radio n’était pas seulement une machine à produire de la musique ; elle devait être présente dans la communauté, gagner son intérêt, conquérir son respect […]. C’est dans ce contexte que CJAD a grandi et est devenue ce qu’elle est aujourd’hui (Holder et Walter, 1995, côté 1, trad. libre).
Publicité de CJAD (19 K)
Le 12 avril
1948, Dupont reçut du ministère des Transports
l’autorisation de diffuser à sur la fréquence FM
(CJAD-FM). La CBC ordonna
que « la [nouvelle] station diffuse simultanément toutes
les émissions diffusées
par la station CJAD. Nulle autre émission [ne pouvait]
être diffusée à moins
d’en recevoir l’autorisation écrite de la CBC. »
(Browne, 1948) Au début,
donc, et jusqu’en 1975, les stations AM et FM diffusaient les
mêmes émissions
; c’est ce qui se faisait également dans les autres stations,
puisque le
gouvernement projetait de se réserver la fréquence FM,
malgré le fait que peu
de Canadiens possédaient, à l’époque, un
récepteur FM.
En 1960, la maladie obligea Dupont à abandonner l’idée de se lancer en télévision, et il mit CJAD en vente ; Standard Radio Company Limited, de Toronto, s’en porta acquéreur. Dans une déclaration publique faite le 23 septembre, le président de cette entreprise, W. C. Thornton Cran, affirma :
Standard
Radio Limited a le plaisir d’annoncer que nous avons conclu une
entente
avec
M. J. Arthur Dupont, président de la station de radio CJAD, de
Montréal, et
que nous procéderons à l’achat de toutes les actions de
CJAC ltée. Cette
transaction assure M. Dupont que CJAD Montréal continuera
à diffuser selon les
mêmes critères d’excellence dans la programmation et le
service au public.
Et M. Dupont a accepté de rester directeur de CJAD et de nous
offrir ses
services de consultant (Holder et Walter, 1995, côté 1,
trad. Libre).
À
l’occasion du déménagement de la station quelques
portes plus loin au coin des rues de la Montagne et
Sainte-Catherine,
l’année
suivante, on invita le maire de Montréal, Jean Drapeau, à
prononcer une
allocution :
C’est
avec un immense plaisir que j’ai accepté, à invitation de
la direction,
d’assister à l’ouverture officielle des nouveaux studios de la
station de
radio CJAD, et de rendre hommage à notre bon ami M. J. Arthur
Dupont, le
fondateur de la première station de CJAD en 1945. On m’a dit que
la station
avait alors 24 employés et qu’aujourd’hui elle en compte 60.
Diffusant au départ
avec une puissance de 1 kilowatt, puis de 5 kilowatts en 1948,
CJAD
diffuse
maintenant avec une puissance 10 kilowatts. Sans être expert en
la matière, je
constate que ses installations sont des plus modernes. CJAD a
toujours
été à
la fine pointe dans son domaine, et offre aujourd’hui à nos
concitoyens
anglophones une programmation de premier plan tant en
divertissement
qu’en
information […]. CJAD est vraiment le son de la qualité à
Montréal. Sans la
moindre arrière-pensée… je dois affirmer que je suis
frappé du fait qu’il
a fallu un bon et solide Canadien français pour mettre sur pied
une bonne
station de langue anglaise [rires] ! (Holder et Walter, 1995,
côté 1, trad.
libre).
L’achat de CJAD
par Standard Broadcasting signifiait que la
station avait maintenant les ressources nécessaires pour
apporter les améliorations
techniques souhaitées, tout en maintenant la tradition que CJAD
avait mise de
l’avant sous la direction de Dupont. Une question se posait,
cependant :
les propriétaires, à Toronto, pouvaient-ils diriger une
station qui refléterait
adéquatement la réalité montréalaise ?
Lorsque le CRTC
modifia, en 1975, les règlements concernant
la radio FM pour permettre une programmation différente sur les
deux fréquences,
CJAD put donc apporter des changements à sa programmation. En
1976, CJFM-FM fut
autorisée, par le CRTC, à commencer à diffuser,
à la condition expresse que
la station continue à le faire surtout en anglais. Il semble que
la station
avait demandé de diffuser également en français,
et que le CRTC avait refusé,
et ordonné que le français ne soit utilisé en
ondes que dans le cas où il
serait question de noms ou d’expressions de langue française
(CRTC,
1976-1977). La séparation des stations AM et FM selon les
exigences du CRTC
entraîna un changement majeur à CJAD.
En 1978, Argus
Corporation, des frères Monty et Conrad
Black, prit le contrôle de Standard Broadcasting (et donc de
CJAD
et de CJFM),
et les stations emménagèrent dans de nouveaux studios —
qu’elles occupent
encore aujourd’hui — angle du Fort et Sainte-Catherine. En 1985,
Standard
Broadcasting fut de nouveau vendue, cette fois à Allan Slaight,
de Slaight
Communications. Cette transaction souleva une certaine
controverse,
parce que
Slaight acheta ses actions (84,8 % des actions communes de
Standard) en
mars
1985, sans attendre que le CRTC approuve le transfert de
propriété (CRTC,
1986). Le CRTC approuva finalement le transfert en novembre de
la
même année.
Slaight tenait
à préserver l’image de station bien
intégrée
dans la communauté que CJAD s’était forgée. Dans
un mémoire au CRTC, en
1985, il indique que, « [a]lors que la population d’expression
anglaise ainsi
que l’importance du marché de la radio anglophone ont
diminué,
l’excellence prévaut à CJAD et sa réputation de
chef de file est toujours
bien ancrée dans la communauté » (Slaight, 1985).
Effectivement, la situation
de la radio anglaise à Montréal commença à
se transformer, à cette époque,
suivant ainsi la situation politique au Québec. Jadis une
industrie
florissante, la radio de langue anglaise battait de l’aile.
Slaight,
cependant, était convaincu que la station pouvait être
profitable même dans
un marché de moyenne taille.
L’évolution
de la
programmation
Comme nous
l’avons mentionné, au cours des années, il y
eut des changements dans la programmation à CJAD ; nous verrons
donc d’abord
le fonctionnement des premières années, où CJAD ne
diffusait que sur la fréquence
AM, puis nous examinerons les changements survenus lorsque la
station
FM devint
une entité indépendante.
La cassette du
cinquantième anniversaire de CJAD est riche
en informations de toutes sortes sur la programmation de la
station
à ses débuts.
Il est cependant difficile d’établir l’année ou la
période durant
laquelle les émissions dont il est question furent
diffusées. Plusieurs durèrent
plusieurs années — certaines plus de 20 ans —, ce qui indique
déjà une
bonne continuité dans la programmation. De plus,
l’enregistrement suit un
ordre presque chronologique, des premières années
jusqu’aux années 1980 ;
ce qui suit respecte cet ordre.
Au cours des
premières années, CJAD mit l’accent sur deux
genres d’émissions : d’une part le commentaire politique,
les
nouvelles et l’information générale et, d’autre part, le
divertissement,
parfois orienté vers un auditoire plus jeune. Dans les deux cas,
on préconisait
la participation de l’auditoire, entre autres par des appels.
Les deux
types
d’émissions se chevauchaient parfois, certaines émissions
comprenant à la
fois de la musique et des commentaires, par exemple. Peu importe
le
type, toutes
les émissions avaient bien entendu leurs commanditaires, et
mettaient
l’accent sur le but premier de la station : informer et
divertir
son
auditoire. Une étude faite pour la Commission royale
d’enquête, sur les
arts, les lettres et les sciences (Massey-Lévesque), en
1948-1949, alors que
CJAD était encore une très jeune station,
révèle que, sur un total de 7475
minutes de diffusion par semaine, 700 minutes (9,4 %) étaient
consacrées à
des émissions « sérieuse », 3095
minutes (41,4 %) à des émissions
« populaires », et 3795 minutes (50,8 %) à la
diffusion de musique
enregistrée. Le ratio de 1 à 4,5, qui permet de comparer
le temps d’antenne
« sérieux » au divertissement «
populaire » correspond à ce
que l’on retrouvait dans toutes les stations de ce genre à
l’époque
(Commission royale d’enquête sur les arts, les lettres et les
sciences,
1951). Cette diversité, nous l’avons déjà vu,
était ce qui caractérisait
les stations AM avant que l’arrivée du FM leur permette — en
réalité
avant qu’elle les oblige à le faire — d’organiser de
façon plus précise
leur programmation.
Les messages
publicitaires de la station misaient à la fois
sur la diversité et sur l’appartenance à Montréal.
« Dial 800, that is
one for one and all, at CJAD Montreal », par exemple,
un
« refrain »
publicitaire de la fin des années 1940, est clair à ce
propos. Dans les années
1950, « CJAD, 800, stereo, the Beat of Montreal » a
« pris la relève
», suivi — sur un ton disco — par « CJAD the sound of
800 – 800 –
800 », tous deux mettant l’accent sur l’aspect
divertissement
musical
de la programmation.
L’une des premières émissions mentionnées par Mac McCurdy est In the Good Old Days, qu’il fit avec Norm Keele. McCurdy décrit ainsi les débuts de cette émission, en expliquant comment la publicité était intégrée à la programmation :
Je
crois qu’au début l’émission s’intitulait quelque chose
comme A&P
Calling puisqu’elle était évidemment
commanditée par les magasins
A&P ; quand le contrat de commandite est arrivé à
échéance, je crois que
Simpson prit la relève. Ou c’est peut-être l’inverse, mais
je sais que ces
deux entreprises ont été associées à
l’émission (Holder et Walter 1995, côté
1, trad. libre).
McCurdy parle
aussi de certaines émissions en particulier,
comme celle du matin ou les actualités :
Le premier animateur du matin a été Maurice Bédard, suivi un peu plus tard de George Bishop. Le premier maître de cérémonie de Make Believe Ballroom a été Ron Dunn, remplacé ensuite par Don Cameron. Bob Harvey a animé Club 800, et Hamilton Grant News on the Hour. Un dénommé Terrence O’Dell, de CBC, a été un des principaux lecteurs de nouvelles. Et c’est Ron Laurier qui a été un des premiers directeurs des programmes. Nous avons en quelque sorte été des pionniers, parce que nous faisions des choses que personne n’avait faites auparavant, et ça plaisait aux gens (Holder et Walter 1995, côté 1, trad. libre).
L’émission
du matin de Bill Robert était un mélange de
musique et de commentaires sur l’actualité, mais le refrain
publicitaire
laisse à penser que le directeur des émissions voulait
mettre l’accent sur
le contenu musical :
Get
out of
bed, you sleepy head.
Time to be up and away. [Yawn]
Get up and smile, musical style
CJAD starts your day. [Yawn]
Music that talks, always the pops,
Use the time on Eight Oh Oh.
Start the day right, everything’s right
Here on the
Bill Roberts show.
(Sors
du lit, tête endormie. C’est le temps de se lever et de s’en
aller. [Bâillement]
Lève-toi et souris, de façon musicale CJAD démarre
ta journée. [Bâillement]
Musique
qui parle, toujours populaire, passe ton temps sur Huit Oh Oh.
Commence
la journée
du bon pied, tout va bien ici à l’émission de Bill
Roberts) (Holder et
Walter 1995, côté 1, trad. libre).
La station
faisait sa propre publicité disant que sa salle
de nouvelles était « la plus écoutée au
Québec », celle qui « éclaire
sur les actualités locales et internationales ». Selon Rob
Braide, l’actuel
directeur général de CJAD, l’une des façons que la
station a utilisée pour
toujours rester « en tête de peloton » à
innover sur le plan des méthodes
et des technologies. McCurdy décrit certaines de ces
innovations :
Nous
avions des unités mobiles pour couvrir l’actualité, avec
Sid Margles,
Peter Shurman et Rick Leckner, et les éditoriaux de Leslie
Robertson, les
bulletins de météo venant de Dorval, des rapports sur les
conditions de ski,
sur la circulation (Len Rowcliffe, en hélicoptère), une
chose qui ne s’était
jamais faite auparavant à la radio à
Montréal.[Rowcliffe prétend qu’il a
été] la première personne dans le monde à
diffuser à partir d’un hélicoptère
; nous l’avons loué en 1965, 1966, quelque part par là.
Nous croyions avoir
besoin d’un véhicule plus rapide, parce que nous allions couvrir
un plus
grand territoire avec la tenue d’Expo 67. Nous avons donc conclu
une
entente
avec Lloyd Ayres (?), de Canadian Helicopters pour avoir un Jet
Ranger
de
l’usine de Fort Worth et ça a été un des hauts
faits de mon séjour à CJAD :
voler dans un appareil flambant neuf, numéro 18 de la
chaîne de montage, de
Fort Worth au Texas jusqu’à Montréal (Holder et Walter
1995, côté 2, trad.
libre).
Nous avons parlé de l’image que CJAD voulait projeter : professionnalisme, importance de l’actualité, efforts pour présenter la « vérité » au public. Mais l’information, quand elle n’est que factuelle, peut être aride pour les auditeurs. C’est pourquoi, comme plusieurs autres stations de radio, CJAD faisait beaucoup de commentaires sur l’actualité, tout à la fois pour stimuler le débat et la controverse. Leslie Roberts, par exemple, était identifié comme « l’écrivain le plus controversé au Canada ». Voici, par exemple, un de ses premiers commentaires — plutôt irrespectueux — sur le débat constitutionnel canadien :
Pendant
une décennie, le Canada fut le témoin d’un étrange
processus
constitutionnel qui, à certains moments, semblait plutôt
ridicule. Nous
parlons de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la
prétendue
Constitution canadienne, et du fait que nous avons laissé les
mécanismes qui
permettent de l’amender au Parlement de Westminster (Holder et
Walter
1995, côté
1, trad. libre).
Rod Dewar
était un autre commentateur controversé : il
animait une émission de neuf heures à midi, qui
consistant en « un pot-pourri
[de] commentaires éditoriaux », de poésie et de
musique. Pour Dewar, c’était
une émission d’avant-garde, parce qu’elle apportait un point de
vue différent :
C’était unique, je crois, à l’époque. (À bien y penser, pour n’importe quelle époque.) Mais ça semblait fonctionner. D’ailleurs, quelques années plus tard, d’autres l’ont imitée, ce qui m’a rendu très fier, car je crois qu’elle était très respectée. Mais elle était, en même temps, très controversée. Voyez-vous, il n’y avait pas de pensée de gauche à l’époque à Montréal. Les deux quotidiens importants, la Gazette et le Montreal Star — et, je pense, le Montreal Herald — étaient de droite. Il y avait un vide que l’émission remplissait, je crois, jusqu’au jour où les médias se firent plus modérés (Holder et Walter 1995, côté 2, trad. libre).
La crise
d’Octobre, en 1970, est un bon exemple de la
capacité qu’avait la station de donner une information à
jour aux Montréalais.
Brian Nelson utilisa l’expression « on the cutting edge
» (« sur le
fil du rasoir ») pour décrire le rôle que joua la
station durant cette période;
Rob Braide assure que la station « a vraiment pris son envol
» durant la Crise
en offrant une information collée sur l’actualité aux
Montréalais (et à
certains réseaux américains). CJAD avait
été affiliée à la fois à NBC et
au Canadian News Network Standard Broadcast News, pendant un
certain
temps, pour
recevoir des nouvelles nationales et américaines ; en 1970, la
station devint
le principal fournisseur d’information sur les événements
d’octobre pour
les deux réseaux.
La crise
d’Octobre fut aussi l’occasion d’une petite
controverse, à la suite d’un commentaire de Rod Dewar,
l’animateur de l’émission
du matin. Andy Barrie se rappelle la situation :
C’était
en 1970, il y a un peu plus de vingt-cinq ans. James Cross avait
été enlevé,
et ensuite Pierre Laporte avait été assassiné ;
sous la Loi des mesures de
guerre, le pays était, bien entendu, pétrifié.
Tout le monde croyait qu’on
vivait vraiment un état d’insurrection appréhendée
à Montréal, comme
l’avaient dit le maire Drapeau et Robert Bourassa. Les soldats
étaient
partout dans les rues. Bien peu de gens pensaient à s’opposer
à la
suspension des libertés civiles, mais Rod Dewar, lui, l’a fait,
au cours de
son émission de l’avant-midi. Le lendemain de la mise en vigueur
de la Loi
des mesures de guerre, il déclara en ondes : « Je me suis
couché dans un pays
libre hier soir, et ce matin je me suis éveillé dans un
état policier »(Holder
et Walter 1995, côté 2, trad. libre).
Cette
déclaration causa tout un remous au sein de la
direction de CJAD. Dewar poursuit l’histoire :
Le
directeur de la station m’a fait venir et m’a dit que la
direction
voulait
que je prenne une semaine de vacances payée. Je lui ai
répondu que je venais
tout juste de prendre des vacances. Il a ajouté : «
Eh bien, je ne crois
pas qu’il soit raisonnable que vous soyez en ondes, avec ce que
je sais
que
vous allez probablement dire. » La standardiste a donc
été informée que
j’étais en vacances. Je ne crois pas que c’était la bonne
façon de tenter
de régler cette situation embarrassante pour moi et les autres,
une situation
très tendue. Je pense que « tendue » est le mot
juste, parce que, vous savez,
nous étions tous tendus comme les cordes d’un violon. J’ai
éclaté devant
Andy et je lui ai dit que l’excuse que la station avait donnée
sur la note
— on lui avait demandé de lire une note — et la consigne
donnée à la
standardiste de répondre que j’étais en vacances aux gens
qui téléphonaient,
tout ça n’était pas juste. J’ai ajouté que j’avais
été muselé, réduit
au silence, et quoi d’autre [rires]. Maintenant, vous savez,
quand j’y
réfléchis
après des années, je sais que la station n’avait pas le
choix. Je ne le
savais pas à l’époque. Une des provisions de la Loi des
mesures de guerre
est qu’elle ne peut pas être critiquée publiquement et,
bien entendu, la
station était sur des charbons ardents : parce qu’ils
m’avaient permis
d’être en ondes, ils auraient pu perdre leur licence (Holder et
Walter 1995,
côté 2, trad. libre).
Par la suite,
Andy Barrie remplaça Dewar comme animateur du
matin, mais Dewar fait encore régulièrement des
commentaires.
Un autre
dilemme qui surgit durant la crise d’Octobre pour
CJAD, comme pour plusieurs autres stations, fut de décider si
l’on devait céder
à la demande du FLQ de diffuser ses communiqués. Sid
Margles, qui était
alors responsable de la salle des nouvelles, se rappelle que
CJAD
décida
finalement de le faire, mais seulement après que CKAC eut
diffusé le premier
communiqué en français, apparemment avec l’approbation
des autorités.
Bref, il est
évident que CJAD consacra une énergie considérable
à innover sur le plan technologique et à trouver des
commentateurs dynamiques,
de façon à une information de qualité à ses
auditeurs.
Par ailleurs,
CJAD voulait également offrir des émissions
plus légères. Selon Rob Braide, il est curieux que
« CJAD ait longtemps
été injustement considérée comme “ la
station des parents ” ». Il fait
remarquer que « les statistiques prouvent que CJAD a toujours eu
un vaste
auditoire. Cela est particulièrement évident dans le cas
de l’émission Club
800, animée par Mike Stevens. » Mike Stevens se
rappelle cette émission
surtout destinée aux jeunes :
Club
800 était
diffusée de 16 h 5 à 17 h 5, du lundi au samedi.
Quand Coca-Cola en est devenu le commanditaire, elle a pris le
nom de Hi-Fi
Club […]. C’était une émission pour les adolescents,
et les écoles
secondaires y participaient en y envoyant un représentant. Du
temps où nous étions
au 1191, rue de la Montagne, on diffusait de la salle de bal
principale
de la Légion
le samedi après-midi. Du lundi au vendredi, les étudiants
pouvaient venir après
l’école assister à l’émission ; le samedi, on
a ensuite fait l’émission
à divers endroits, puis finalement à l’hôtel
Reine-Élisabeth. Ça a marché
pendant plusieurs années (Holder et Walter 1995,
côté 1, trad. libre).
L’un des
moments particulièrement réussis, au cours de
ces années, et dont on est très fier à CJAD est le
fameux Shower of Stars
(1963), animé par Bill Roberts, Vance Randolf, Mac McCurdy et
Rod Dewar. La
station fit venir une brochette d’artistes — Denny Vaughan,
Carmen
Dragon,
Lorne Greene, Mitch Miller, Allan King… — pour qu’ils donnent
leur
appui
à la Société pour les enfants infirmes. La station
créa pour l’occasion
son propre orchestre de concert de 60 musiciens. Braide explique
qu’il
était
tout à fait inusité pour une station locale de radio de
produire une émission
si chère. Mais, comme l’explique Bill Roberts, ce fut une
façon
extraordinaire pour la station de faire sa propre publicité.
« Il faut se
replacer dans le contexte de l’époque. Aujourd’hui, chaque fois
qu’un
spectacle est présenté quelque part, une station de radio
en fait la
promotion, mais cela ne se faisait pas à ce moment-là.
» (Holder et Walter
1995, côté 1, trad. libre) Mc Curdy, qui était
vice-président et
directeur général de CJAD, ajoute :
Vous savez, cela a coûté très cher, l’émission, un don de charité et la publicité, mais ça a fonctionné. On n’a pas fait d’argent avec cette émission. Mais quand on se disait : on va dépenser x milliers de dollars pour rendre un genre de service à la communauté dans les six prochains mois ou durant l’année tout en faisant de la publicité pour la station, c’était profitable et ça fonctionnait très bien (Holder et Walter, 1995, côté 1, trad. libre).
CJAD
peaufinait
ainsi son image : la station présentant des artistes qui
offraient le
genre de divertissement qu’elle cherchait à mettre en ondes, et,
en même
temps, elle participait à améliorer la vie de la
communauté qu’elle désirait
représenter.
L’émission
du soir de Paul Reid resta en ondes pendant
plus de 20 ans ; on la considère comme l’une des
émissions les plus
remarquables de l’histoire de CJAD. Tom Armour, un ancien
collègue de Reid,
en parle en ces termes :
Le
plus merveilleux, quand on travaillait avec Paul, c’était de ne
pas savoir ce
qui allait se passer pendant l’émission. Habituellement, du
lundi au
vendredi, il y avait surtout de la musique — et plus tard, de la
poésie et de
la musique romantique tard —, mais il n’y avait aucune certitude
que ce
serait ainsi chaque soir. Par exemple, Gordon Lightfoot pouvait
arriver
un soir,
et Paul et lui riaient pendant trois heures ; un autre soir, ça
pouvait être
Tony Bennett : tous ceux qui venaient en ville, en fait,
s’il
pouvait les
recevoir. Il y a eu aussi beaucoup de personnalités du monde du
sport :
Paul adorait le sport. Même si une émission avait
été préparée, musique,
poésie, etc. au programme, tout ça pouvait soudainement
être mis de côté
si, par exemple, le quart-arrière Bernie Faloney venait parler
de stratégie au
football pendant deux heures et demie. Et ça semblait plaire aux
gens (Holder
et Walter 1995, côté 2, trad. libre).
Les dossiers du
CRTC permettent de retracer une partie de
l’histoire des relations de CJAD et de l’organisme. Le CRTC
tenait
à faire
appliquer rigoureusement la règle qui voulait que 30 % de la
musique diffusée
par les stations de radio aient un contenu canadien (norme
portée à 35 % en
1999). Le contenu canadien (Cancon, selon l’abréviation
anglaise) est
défini selon un système appelé (en anglais) MAPL :
M pour
musique, A pour artiste, P (performance) pour l’endroit
où a eu lieu
un spectacle, et L (lyrics) pour le texte ; si au
moins
deux au
moins deux de ces quatre éléments sont
« canadiens », alors on parlera
de contenu « canadien ». Le CRTC exige aussi que les
stations mettent en ondes
une certaine partie de leur « contenu canadien » aux heures
de grande écoute
(elles ne peuvent pas, par exemple, diffuser tout leur « contenu
canadien »
au milieu de la nuit). À la fin des années 1980, CJAD eut
maille à partir
avec le CRTC à propos de deux chansons d’Anne Murray, Take
Good Care of my
Heart et A Little Good News, que la station
considérait comme étant
à contenu canadien, mais qui ne l’était pas selon les
critères du CRTC.
Jeff Vidler, le directeur des émissions, dut se défendre
devant le CRTC :
« Je suis certain que vous comprendrez que nous étions
convaincus que, parce
qu’elles avaient été enregistrées par Anne Murray,
ces chansons étaient de
fait canadiennes. » (Vidler, 1989)
Fait plus
sérieux, le CRTC avisa CJAD que, le 5 avril 1989,
seulement 17 des 61 choix musicaux (27,9 %) diffusés
étaient à contenu
canadien, et que, pendant les heures de grande écoute (entre 6 h
et 10 h),
seulement 1 des 15 choix musicaux (6, 6 %) l’était ; tard
en soirée,
durant les heures de faible écoute, 40,7 % de la musique
diffusée était à
contenu canadien (DesRoches, 1989). Le directeur général
Rob Braide défendit
la station en disant que l’objectif premier de la station
n’était pas la
diffusion de musique, et que la moyenne Cancon était de
31,1 % — et si
la station n’avait pas respecté les critères MAPL,
ce n’était
qu’à cause des deux chansons d’Anne Murray qu’on avait cru
à contenu
canadien. De plus, Braide fit remarquer que le 5 avril avait
été une journée
à caractère particulier, puisque l’horaire habituel avait
dû être modifié
pour permettre la mise en ondes d’émissions spéciales
(Braide, 1990). On
peut noter une certaine exaspération, de la part de Braide, dans
la
correspondance échangée avec le CRTC à propos du
non-respect des règlements
sur le contenu canadien ; cela a peut-être influencé la
décision de la
station de ne plus diffuser de musique du tout.
Le CRTC
imposait aussi d’autres obligations aux stations.
Chaque fois qu’une licence devait être renouvelée, par
exemple, il fallait
remettre une liste détaillée des émissions, en y
incluant le nombre
d’employés et le coût reliés à chacune.
Certaines catégories d’émissions,
comme la publicité d’événements communautaires des
programmes concernant
des passe-temps, devaient obligatoirement se retrouver dans la
programmation.
C’est donc dire que les demandes de renouvellement de licence
des
stations,
conservées au CRTC, nous donnent beaucoup de renseignements.
Par exemple, la
demande de renouvellement de la licence de
CJAD faite au CRTC le 4 décembre 1984 fournit les données
suivantes. La
station diffuse des nouvelles locales, régionales, provinciales,
nationales et
internationales 21 heures par semaine, et la plus grande partie
de son
budget
est consacrée à l’information ; 16 employés
travaillent aux nouvelles (le
directeur de l’information, 11 reporters à plein temps, 3
reporters à temps
partiel, et le correspondant à Québec). Les informations
sont diffusées une
fois par heure, et certaines nouvelles proviennent de la
Standard
Radio’s
Broadcast News et d’autres services d’information comme la
Presse
canadienne, UPC et Telbec. Sound Source, un organisme de
publication
simultanée
de Standard Radio, est également une source d’information sur
les affaires,
l’automobile, la mise en forme, l’environnement, etc. La station
consacre,
deux fois par semaine, du temps d’antenne à des
événements d’intérêt
communautaire : annonces d’anniversaires, critiques de
spectacles,
publicité d’événements tenus en Estrie ; de plus,
elle accorde
gratuitement, et « de façon substantielle », du
temps d’antenne à une
brochette d’organisations et de fondations tout au long de
l’année (CRTC,
1984). Côté passe-temps, la station diffuse chaque semaine
une émission de
cinq minutes sur le jardinage, et cinq fois par semaine une
émission sur
l’informatique.
À
l’époque de ce renouvellement de licence, la plupart
des émissions de CJAD comportaient des débats ou des
tribunes téléphoniques :
par exemple, des émissions d’information et d’affaires
municipales de 90
minutes par semaine, et des commentaires éditoriaux
(7 h 10, 8 h
10, 12 h 15, 17 h 10, 17 h 45, 23 h 10 du lundi au vendredi)
auxquels
pouvaient
répondre les auditeurs le samedi et le dimanche à 12 h 15.
CJAD consacrait
aussi beaucoup de temps aux sports (27 heures
par semaine) et elle avait trois reporters sportifs à plein
temps et deux à
temps partiel. Les nouvelles du sport étaient diffusées
à chaque heure et à
chaque demi-heure, de 5 h 55 à 20 h 25, du lundi au
vendredi ; il y
avait aussi trois bulletins de nouvelles du sport l’après-midi,
du lundi au
vendredi (16 h 25, 16 h 55,17 h 55) et un
magazine
de sport
tous les soirs de la semaine.
Au milieu des
années 1980, la station diffusait 88,5 heures
de musique enregistrée par semaine (ce qu’elle faisait depuis
1960). Le
dimanche soir, l’émission Starlight Concert, produite
en exclusivité
pour CJAD par un pigiste (Rod Dewar), présentait de la musique
classique,
surtout baroque et romantique.
Au début
des années 1990,
CJAD remplissait donc l’objectif qu’elle s’était
fixé : diffuser
des émissions d’information avec possibilité de
discussion, de réplique de
la part des auditeurs, etc. Dans une lettre envoyée à
Lucie Audet, du CRTC, le
22 octobre 1996, Rob Braide décrit ainsi la programmation de la
station. De 5 h 30
à 9 h, c’est le George
Balcan Breakfast Show (sport avec Ted Blackman ;
divertissement
avec Bill
Brownstein ; et Montreal‘s only helicopter traffic reports
with
Rick
Leckner). Avril Benoît anime
ensuite une émission de 9 h à
midi, où elle reçoit divers invités
(comédiens, athlètes, auteurs,
musiciens, politiciens, médecins), et durant laquelle les
auditeurs peuvent téléphoner
pour parler aux invités ou donner leur opinion sur le sujet
discuté (un
invité, le Dr Joe Schwarcz, revenait tous les vendredis,
à 10 h 30).
De 13 h à 16 h, Tommy Schnurmacher est en ondes :
les auditeurs
peuvent téléphoner pour discuter de sujets touchant la
politique québécoise.
De 16h à 19h, Jim Duff anime l'émission du retour
à la maison :
information et discussion touchant les événements de
l’actualité
quotidienne, et interviews des gens qui « font
l’événement ». La journée
se termine avec la diffusion de
Montreal
Nightside, de 22 h 30 à 2 h.
Toujours dans le même document,
Rob Braide ajoute que les informations sont diffusées toutes les
30 minutes et
que la station diffuse en direct des événements sportifs
comme les matchs de
hockey du Canadien (avec Dick Irvin, Dino Sisto et Jim Corsi)
et, au
football,
ceux des Alouettes (avec Rick Moffat et Tommy Kane). Il indique
aussi
au CRTC
que des commentateurs parmi « les plus en vue de Montréal
» (Graeme Decarie,
Rod Dewar, Robert Libman et Gord Sinclair — le directeur de
l'information de
la station) sont également parfois en ondes (Braide 1996).
Donc, au milieu
des années
1990, CJAD devint une station qui mettait l’accent sur
l’information,
le
commentaire et le droit de parole. On y traitait en particulier
des
questions
politiques touchant les Montréalais, et surtout les
Montréalais anglophones ;
l'émission de Tommy Schnurmacher, entre autres, offrait
l’occasion à
l’animateur, aux invités (par exemple, des représentants
d’organisations
anglophones comme Alliance Québec et le Equality Party, ou des
irréductibles
comme Howard Galganov) et aux auditeurs d’exprimer leurs
préoccupations face
à leur avenir au Québec. La station a toujours
privilégié l’information et
le commentaire politique ; dans les années 1990, ce qui a
changé, c’est que
l’information n’est plus accompagnée de musique, mais
d’animation et de
conversations « plus légères ». En tant que
station de radio AM, CJAD a eu
à combattre l’apathie grandissante de la part des auditeurs, non
seulement
envers la fréquence AM, mais envers la radio en
général. L’une des
solutions que CJAD a apportée à ce problème est
l’embauche d’annonceurs
et d’animateurs plus jeunes (Mark Rennie, Ricky Cyr), et
l’ajout, dans
sa
programmation, de l’astrologie par exemple. Mais, surtout, CJAD
s'est
tournée
de plus en plus vers les émissions en consortiums comme
l’émission du Dr
Laura Schlessinger sur l'éthique et la morale, avec une tribune
téléphonique.
Ces émissions recueillent de bonnes cotes et produisent beaucoup
de revenus de
publicité, tout en étant relativement bon marché
à acheter ; cependant,
l’on ne peut faire autrement que de se demander quels liens ou
quelles
racines
on peut créer dans la communauté locale avec de telles
émissions.
CJAD a encore
aujourd’hui
la réputation d’être une station qui présente des
émissions de qualité,
avec un personnel professionnel bien informé. Elle s'est
toujours enorgueillie
de l’ambiance de camaraderie qui existe au sein de son personnel
(McCurdy, cité
dans Holder et Walter, 1995, côté 2). Selon Peter Shurman,
un ancien directeur
général de la station, la station est devenue au fil du
temps un « miroir »
pour son auditoire, étant donné la façon dont elle
a toujours reflété ce
qui se passait dans la communauté (Holder et Walter 1995,
côté 2). Le site
Web de la station souligne que les auditeurs perçoivent la
station comme «
faisant partie de la famille » et « une bonne amie » (CJAD
in Brief).
Telle que fondée par J. Arthur Dupont, la station, comme le dit
Bill Roberts,
« a été, est et sera toujours la force dominante de
la radio anglaise de
Montréal » (Holder et Walter 1995, côté 2).
Braide,
1990.
Letter to
Anne-Marie DesRoches, CRTC, January 8,
1990.
Dossiers du CRTC, CJAD n° 6240.
Braide,
1996.
Letter to
Lucie Audet, October 22, 1996. Dossiers du CRTC. CJAD,
n° 6240-X199.
Browne,
G.
C. W., 1948. Letter to J. A. Dupont, April 12, 1948.
Dossiers de Keith A.
Mackinnon,
Archives nationales du Canada, MG 31 J42, vol. 16, dossier CJAD
Radio
Montreal,
1952-1959.
CJAD in
Brief, 2000. Site
Web de CJAD, ; consulté le 12 mai
2000.
CRTC,
1976-1977. Decisions,
p. 210-211.
CRTC,
1984.
CJAD Licence
Application, 4 décembre 1984. Dossiers du CRTC, CJAD, vol. 8,
1984-1986.
DesRoches,
1989.
Letter to Rob Braide,
December 21, 1989. Dossier
du CRTC, CJAD n° 6240.
Holder,
Peter
Anthony et
Andrew Walter, 1995. The CJAD Story - The First Fifty Years,
cassette
audio.
Royal
Commission on the Arts, Letters and Sciences, 1951, Report,
Appendix.
Slaight,
Allan,
1985. Brief to CRTC. Dossiers
du CRTC, CJAD vol. 7, cassette vidéo.
Vidler, J.,
1989. Letter to
Marcelle Gagné, CRTC, December 18, 1989. Dossiers du CRTC, n°
6240.
Projets réalisés | ||
Historique de la radio anglophone au Québec | ||
CFCF : les premières années de la radio (voir aussi le texte Anecdotes...) |
Les relations entre les stations anglaises de Montréal Liste chronologique des stations radiophoniques de langue anglaise au Québec |
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Mise à jour le 29 juillet 2005
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