PQ Phonothèque québécoise
Musée du son
Sauvegarder, documenter et diffuser le patrimoine sonore

Historique de la radio anglophone

Au nom de «l'intérêt public» : CFCF et quelques controverses dans les années 1950, 1960, 1970

par Melanie Fishbane et Mary Vipond

traduction de Michelle Bachand et Jean Bernard



   Extraits sonores


 

 

(167 K)

En 1952, Gui Caron, chef du Parti progressiste du travail au Québec et candidat dans la circonscription de Saint-Louis à Montréal, demanda à CFCF si lui et ses collègues pouvaient acheter du temps d’antenne, afin de promouvoir le programme du parti pour les élections à venir le 16 juillet. J. Allan Hammond, le directeur de CFCF, refusa. Caron porta plainte devant la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), qui fit enquête. Pour expliquer la décision de CFCF, Hammond écrivit, le 17 juin 1959, qu’il avait refusé la demande de Caron parce que « [n]ous croyons que la diffusion de propagande communiste n’est pas dans l’intérêt du public » (Hammond 1952a).

 

Cette idée que CFCF était le protecteur de l’intérêt public n’avait rien de nouveau : deux ans plus tôt, S. M. Finlayson, président de Marconi du Canada (propriétaire de CFCF) avait suggéré, devant la Commission royale d’enquête sur les arts, les lettres et les sciences (plus connue sous le nom de commission Massey-Lévesque), que, puisque les stations privées étaient des « station communautaire » et qu’elles devaient donc bien connaître leurs auditeurs et ce qu’ils désiraient, elles étaient, de ce fait, « bien plus des stations publiques » que la CBC elle-même (Finlayson, 1949, p. 8). Comme toute entreprise privée, CFCF était motivée par le profit ; une grande partie de ses revenus provenant de commanditaires qui espéraient atteindre le plus grand nombre d’auditeurs possible, CFCF devait donc connaître les auditeurs et ce qu’ils désiraient. Selon Finlayson et Hammond, donc, puisqu’ils connaissaient les désirs de leurs auditeurs, ils connaissaient par le fait même leurs intérêts. Autrement dit, pour eux, les intérêts des auditeurs (les consommateurs) et ceux des citoyens (le public) étaient les mêmes. Hammond se croyait dans son droit de refuser la requête de Caron, parce qu’il pensait ainsi répondre aux besoins des auditeurs de la station, c’est-à-dire le public. La diffusion de ce qui pouvait être interprété comme de la propagande communiste choquerait des auditeurs de CFCF… mais ce n’était pas par peur de perdre une partie de sa clientèle qu’il refusait la publicité du parti de Caron, c’était à cause de « l’intérêt public »

 

Intérêts des auditeurs ou intérêt public ? La question revint quand Marconi essaya, en 1963, de vendre sa station à Radio Futura ltée, propriétaire de la station bilingue CKVL, de Verdun : dans ce cas, les dirigeants de CFCF étaient prêts à accepter que les intérêts de l’auditoire de CFCF ne soient peut-être pas aussi bien servis… mais elle devait vendre pour assurer l’avenir de la station de télévision dont elle était déjà propriétaire, et qui serait potentiellement beaucoup plus profitable. Le Board of Broadcast Governors (BBG) ne crut pas que la vente était dans l’intérêt public et refusa de donner son aval à la transaction. Dans un troisième cas, en 1974-1975, CFCF encouragea ses auditeurs à signer une pétition contre le projet de loi 22 du gouvernement québécois (libéral), déposé afin de préserver et de promouvoir la langue française, en donnant à celle-ci un statut officiel dans l’administration publique et comme langue de travail et en réduisant l’accès aux écoles anglaises pour les enfants d’immigrants. Selon les dirigeants de la station, devant la montée du nationalisme au Québec, CFCF se devait de défendre activement ce qui était dans l’intérêt de ses auditeurs (et donc du public, selon eux), c’est-à-dire « les droits des anglophones ».

 

En examinant ces trois controverses, nous démontrerons comment, pour CFCF, « station communautaire » et recherche de profit signifiaient « agir dans l’intérêt des auditeurs » ; et comment, les intérêts des auditeurs étant ceux du public, une station privée agissait nécessairement dans l’intérêt public… Pourtant, pour des raisons financières, la direction de Marconi/CFCF était prête à vendre son « public » au plus offrant.

 

Publicité de Marconi

 

(190 K)

Canadian Wireless, Juin 1922

Le communisme n’est pas d’intérêt public : la controverse Gui Caron.  

 

Les circonstances entourant le cas Gui Caron laissent croire que la « défense de l’intérêt public » fut la tactique qu’utilisa CFCF pour tenter de dissuader la cour de condamner la station, qui avait enfreint la loi. Maurice Foudrault donna rapidement suite à la plainte de Gui Caron, qu’il reçut par écrit le 12 juin 1952, et fit enquête ; il écrivit à Hammond : « Dans sa lettre, M. Caron se plaint de votre refus et de celui de M. Victor George (directeur de la diffusion) de lui vendre du temps d’antenne à CFCF pour la diffusion de messages où il serait question de son parti et de ses candidats » (Foudrault, 1952, trad. libre). Foudrault ajouta qu’en refusant de vendre ce temps d’antenne, Hammond et George contrevenaient à un règlement : « Chaque station devrait laisser du temps d’antenne, de façon aussi égale que possible, aux partis ou aux candidats désirant acheter ou obtenir du temps pour diffuser leurs messages » (voir Bird, p. 162, trad. libre).

 

Hammond et George affirmèrent qu’ils ne croyaient avoir violé aucune règle :  « Nous sommes conscients que notre licence nous oblige à fonctionner dans l’intérêt du public » et « [n]ous croyons que la diffusion de propagande communiste n’est pas dans l’intérêt du public » (Hammond, 1952a, trad. libre). Caron, apparemment conscient qu’il n’obtiendrait pas satisfaction à temps (avant les élections) de la part de la CBC, fit appel au bureau d’avocats Marcus et Feiner pour le représenter. Ceux-ci envoyèrent une lettre à la direction de CFCF, dans laquelle ils prévinrent qu’un refus d’obéir aux règlements de la CBC dans les 48 heures serait « interprété par nous comme un refus de votre part » (Marcus, 1952). CFCF ne broncha pas, mais utilisa un nouvel argument, dans une lettre envoyée à Foudrault le 19 juin, où Hammond argua que le Parti progressiste du travail n’étant pas encore enregistré au Québec comme parti politique, ses représentants ne pouvaient pas se dire « candidats » dans le sens des règlements en question (Hammond, 1952b). Le 3 juillet, la Cour supérieure déposa un bref en mandamus ordonnant à CFCF de laisser du temps d’antenne à Caron, ce que la station refusa de faire une fois de plus (Montreal Herald, 1952).

 

Défait aux élections le 16 juillet, Caron décida quand même de ne pas laisser tomber. Le 17 octobre, la Cour supérieure statua que la station aurait dû « lui allouer une portion adéquate de temps d’antenne à la radio », mais ajouta qu’on ne pouvait pas faire grand-chose, trois mois après le fait ; cependant, « le plaignant avait droit à la compensation demandée et on devait donc lui rembourser les frais de cour » (Cour supérieure du Canada, 1952, trad. libre). Aucun document ne nous permet d’affirmer que CFCF accéda à cette demande, bien qu’on puisse penser qu’elle n’eut pas la possibilité de s’y soustraire ; il ne semble pas que la CBC ait entamé d’autres procédures par la suite.

 

Il est important de mentionner que CFCF ne fut pas la seule station de Montréal aux prises avec la diffusion de ce qui pouvait être considéré comme de la « propagande communiste ». Un correspondant informa Victor George le 19 juin que « CKAC et CJAD ont aussi refusé du temps aux communistes » (Kingan, 1952). Mais on ne sait pas pourquoi Caron ne poursuivit que CFCF. On peut croire, cependant, que si Hammond et George avaient répondu favorablement aux demandes de Caron, CFCF se serait retrouvée dans la position d’être la seule station privée à accorder du temps d’antenne au Parti progressiste du travail, ce qui, sans doute, aurait soulevé des critiques parmi les auditeurs. On peut conclure, alors, que si CFCF évoqua l’intérêt public comme raison de son refus, sa véritable préoccupation n’était pas le droit des citoyens à être bien informés, mais sa crainte de s’aliéner des auditeurs en diffusant des propos qui auraient pu les choquer.

 

 

Santé financière de l’entreprise et intérêt public : CFCF et Radio Futura, 1963

 

En 1962 et 1963, CFCF fut une fois de plus sur la sellette quand elle voulut vendre ses stations AM et FM à Radio Futura ltée. Radio Futura était propriétaire de CKVL-AM Verdun, une station bilingue (25 % d’émissions en anglais, 75 % d’émissions en français) et avait également une licence de station FM. Le 26 mars 1963, aux audiences publiques tenues par le BBG, le nouvel organisme fédéral responsable des questions de diffusion, le point le plus important à l’ordre du jour fut les conséquences qu’aurait une telle vente pour les auditeurs de radio à Montréal.

 

Comme cela se fait habituellement, Marconi avait apparemment fait savoir discrètement, dans la communauté radiophonique, l’automne précédent, que ses deux stations étaient à vendre. Huit ou dix groupes tinrent des réunions avec les directeurs de Marconi, mais seul Jack Teitolman, président de Radio Futura, fit une offre (d’un peu plus de 1 million de dollars) (Montreal Star, 1963). Le BBG devait établir si la vente respecterait ses règlements, et surtout si elle répondrait aux intérêts de l’industrie et des auditeurs. La réponse fut non : cette vente représenterait, selon les critères du BBG, un service en double.

« L’opinion du Bureau sur l’allocation de deux licences à une station, pour lui permettre de fonctionner au sein du même médium dans un marché particulier, est justifiée seulement lorsqu’elle semble nécessaire pour assurer un service à une minorité (par exemple dans une autre langue). » (Nixon, 1963, trad. libre) De toute évidence, le BBG croyait que le service offert en anglais par CFCF était assuré sous la propriété de Marconi et que, ainsi, la vente n’était pas nécessaire pour protéger l’intérêt de la minorité anglophone. Par ailleurs, on aurait pu apporter l’argument que, toutes proportions gardées, il n’y avait que peu de stations de langue française à Montréal, et que la volonté de CKVL d’offrir une programmation uniquement en français si la vente avait lieu pourrait augmenter la présence francophone sur les ondes à Montréal. Mais CKVL n’utilisa pas cette argumentation ; et la station offrit par la suite une programmation entièrement francophone de toute façon. Le Bureau conclut également que Radio Futura ne pouvait posséder quatre stations (deux AM et deux FM) sur le même marché, en accord avec les politiques établies depuis longtemps.

 

Fait plus intéressant, les audiences permirent d’éclairer certains aspects de la réalité de la radio de langue anglaise : entre autres à propos de la programmation qui serait diffusée par CFCF dans l’éventualité d’un changement de propriétaire. Où la direction de Radio Futura espérait-elle trouver des talents de langue anglaise pour les nouvelles séries et les émissions de variété qui étaient proposées (CFCF, 1963, p. 111-121) ? Malgré l’argumentation de A. B. R. Lawrence, l’avocat de Radio Futura, selon laquelle il y avait beaucoup de talents disponibles, des anglophones, des immigrants, des francophones bilingues, et malgré le fait qu’il démontra que la Guilde des musiciens de Montréal était pleinement d’accord avec cette transaction qui augmenterait « l’emploi et les revenus de [ses] membres », le Bureau ne sembla pas entièrement convaincu. Cette discussion révéla aussi que CFCF était perçue comme une station peu encline à encourager les talents locaux dans le cadre de ses émissions. En fait, il semble que, faisant face à une concurrence toujours plus vive de la part de CJAD et de CFOX sur la fréquence AM, CFCF avait tout simplement décidé de ne pas faire les investissements nécessaires pour conserver sa part de marché.

 

Ce point intéressa d’ailleurs beaucoup les membres du BBG : pourquoi Marconi voulait-elle vendre « la plus vieille station, non seulement au Canada, mais aussi dans le monde » (p. 145) ?  On demanda à Victor George, alors directeur général de la station, si Marconi aurait voulu vendre sa station de radio si elle n’avait pas été également propriétaire d’une station de télévision. George essaya d’éluder la question, mais admit qu’il était important pour la compagnie de conserver « un moyen de véhiculer [son] image » comme elle l’avait fait depuis 1919. Son interlocuteur arriva à cette conclusion évidente : « Si vous n’aviez pas la télévision, vous voudriez continuer à présenter votre image au public montréalais [par la radio] » (p. 146-147, trad. libre).

 

Victor George se vit donc dans l’obligation d’exposer franchement aux membres du Bureau les intérêts financiers en jeu dans cette affaire :

 

Notre entreprise a un rôle important à jouer sur le marché de la diffusion, et nous tentons d’être à la hauteur de ces objectifs. L’un de ceux-ci est le fonctionnement de notre station de télévision à Montréal, dont nous voulons qu’elle véhicule une bonne image de notre organisme et qu’elle gagne et conserve le respect des téléspectateurs. Par ailleurs, nous sommes également présents dans d’autres secteurs reliés à ce domaine. Nous avons plusieurs projets, de nouveaux produits, de meilleures façons de réaliser des choses ; nous essayons de faire notre part pour développer l’économie canadienne en voulant exporter nos produits […]. Mais nos ressources, temps et argent, ne sont pas illimitées. Ainsi, […] quand nous avons reçu une offre d’achat pour les stations de radio, nous l’avons étudiée à la lumière de tous ces facteurs, et nous avons pensé que nous servirions mieux les intérêts de l’entreprise et de tout ce que la compagnie représente si nous l’acceptions (p. 98-99, trad. libre).

 

Non seulement Marconi tentait presque de faire croire que l’offre d’achat tombait du ciel, mais il était clair que l’entreprise avait deux questions importantes en tête lorsqu’elle avait décidé de vendre : dans quel secteur désirait-elle mettre ses priorités à l’avenir, et comment rester présent sur le marché de la diffusion radio ou télé. Or, les profits qu’apporterait la télévision étaient beaucoup plus alléchants que ceux de la radio. George affirma que vendre CFCF n’était pas une décision suscitée par « le découragement » (p. 99), mais il était très clair que l’entreprise avait décidé de privilégier son secteur manufacturier, et que la télévision était beaucoup plus intéressante dans cette perspective. Marconi dut donc accepter la décision du Bureau BBG, et CFCF continua de diffuser pendant une dizaine d’années par la suite.

 

CFCF et le CRTC

 

(173 K)

Le Jour, 1976

 

Le projet de loi 22 et la pétition de CFCF

 

Les changements politiques au Québec au cours des années 1970 eurent des effets profonds sur l’attitude de CFCF-AM envers son auditoire. La direction de cette station de langue anglaise, dans une province où l’on mettait de plus en plus l’accent sur la défense et l’usage du français, se posait la question suivante : comment représenter le mieux possible les intérêts de la communauté anglophone. L’« intérêt public » qu’affirmait défendre la station devint de plus en plus les intérêts du public d’expression anglaise. Dans l’atmosphère politique chargée du Québec, CFCF, plutôt que rester neutre, choisit, au moins à quelques occasions, de définir le « service public » qu’elle offrait comme un plaidoyer pour les « droits des anglophones ».

 

Cela se manifesta clairement lorsque le gouvernement libéral de Robert Bourassa présenta le projet de loi 22 en 1974. Du 3 au 16 septembre 1975, CFCF-AM utilisa du temps d’antenne pour inciter ses auditeurs à signer une pétition contre le projet de loi. Cela choqua certains auditeurs, qui se plaignirent auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui avait remplacé le BBG.

 

Le CRTC répondit à ces protestations en envoyant un télex à la station demandant de lui faire parvenir les bandes des émissions litigieuses. CFCF envoya au CRTC les enregistrements audio de toutes les diffusions faites entre le 3 et le 16 septembre ; les rubans des émissions des 14 et 15 septembre étaient cependant inaudibles, ce qui contrevenait aux règlements du CRTC. L’enquête préliminaire du Conseil conclut que CFCF semblait permettre la présentation des arguments à la fois pour et contre le projet de loi 22, mais qu’elle ne diffusait aucune critique de la décision qu’elle avait prise de faire circuler la pétition. Le CRTC conclut alors que la station avait failli à son devoir de maintenir un certain équilibre dans sa programmation (CRTC, 1976, p. 453). Plus particulièrement, le Conseil faisait référence à la section 2 de la Loi sur la radiodiffusion de 1968 :

 

2c. Toutes les personnes ayant une licence de diffusion ont la responsabilité des émissions qu’elles diffusent, mais le droit à la liberté d’expression et le droit des personnes de recevoir des émissions sujettes seulement aux statuts et règlements généralement applicables est inaliénable.

2d. La programmation fournie par le système de diffusion canadien doit être variée et complète et devrait fournir une occasion raisonnable et équilibrée d’exprimer des points de vue différents sur des sujets préoccupant le public […] (Bird, p. 374, trad. libre).

 

En mars 1976, la licence de CFCF devait être renouvelée, et la question de la pétition fut discutée. Dans son rapport sur « les motifs soulevés par la campagne de CFCF contre le projet de loi 22 », le CRTC conclut que le cas « n’[était] pas unique, mais [était] dû aux conditions actuelles, qui donnaient lieu à une programmation controversée dans tout le système » (CRTC, 1976, p. 1, trad. libre). Le rapport ajoutait que le CRTC croyait que les diffuseurs devraient être « stimulés à faire des expériences et à trouver de nouvelles approches, de nouveaux formats et critères pour des émissions controversées ». Le CRTC renouvela donc la licence de CFCF, tout en concluant que dans ce cas particulier, la station avait participé à soulever une controverse à propos d’une affaire d’intérêt public, puisqu’elle n’avait traité de cette affaire que sous un seul angle, sans permettre un véritable débat. Comme nombre d’universitaires l’ont noté à ce moment (voir Hardin, 1985), l’organisme n’avait à sa disposition qu’une seule sanction, qui s’appliquait même dans le cas d’une infraction mineure — la révocation de la licence —, sanction plutôt draconienne compte tenu de l’investissement énorme que représente le fonctionnement d’une station de radio. CFCF affirma qu’elle avait agi dans l’intérêt de ses auditeurs en majorité anglophones ; elle avait risqué l’annulation de sa licence pour cimenter cette relation avec son auditoire, un risque qui s’avéra finalement sans conséquence.

 

 

Conclusion

 

Marconi et CFCF se préoccupèrent toujours de définir ce que le public désirait. Comme station qui s’enorgueillissait de faire partie de sa communauté et de répondre à ce qu’elle croyait être les besoins de ses auditeurs, CFCF affirma, en plusieurs occasions, que sa façon de faire, autant sur le plan de la vie de l’entreprise que sur celui de la programmation, avait pour seule raison l’« intérêt public ».

 

Ainsi, en rejetant la demande de Gui Caron en 1952, CFCF assura qu’elle ne faisait que respecter la volonté de ses auditeurs, qui ne voulaient pas entendre parler de communisme. Alors qu’on aurait pu penser qu’une station de radio comme CFCF avait la responsabilité d’informer les citoyens de tous les choix politiques qui leur étaient offerts, en fait, aucune station privée ne désirait être associée à un message politique ne respectant pas la norme de ce qui était généralement accepté à l’époque. Ironiquement, le diffuseur public fut la seule station qui, suivant le principe que les auditeurs devaient être considérés comme des citoyens plutôt que comme des consommateurs, dut s’aliéner certains d’entre eux en offrant à l’auditoire la possibilité de prendre connaissance des positions de partis politiques non populaires (Vipond, 1994).

 

De la même façon, CFCF commandita la pétition contre le projet de loi 22 parce que, selon les dirigeants de la station, c’était dans l’intérêt des auditeurs de langue anglaise. Tout en étant consciente qu’elle pourrait perdre la fidélité de certains de ses auditeurs qui étaient en faveur du projet de loi, la direction de la station décida qu’il était prioritaire de raffermir ses liens avec la communauté de langue anglaise, qu’elle considérait comme étant son « public ». Encore une fois, « auditeurs » ne signifiait pas « large public aux points de vue variés », mais plutôt « groupe plus restreint que les commanditaires cherchaient à rejoindre », et dont la fidélité aux émissions pouvait être prouvée.

 

L’affaire entourant le projet de vente de la station à Radio Futura souleva également un certain nombre de questions sur la vision que la direction de la station avait de son « public ». Alors que, de toute évidence, Marconi désirait garder son entreprise de diffusion d’abord pour continuer de pouvoir présenter une certaine « image », elle en conclut que la télévision était un meilleur (et plus profitable) médium pour y parvenir… surtout que s’ajoutait à cela l’objectif de produire, de vendre et d’exporter de l’équipement télé. Dans ce cas, la direction fut incapable de prouver que sa « mission » était véritablement

« d’intérêt public » plutôt que dans l’intérêt (le profit) de l’entreprise. Le BBG empêcha la vente précisément parce qu’il considérait que ce n’était pas dans l’intérêt des auditeurs de la radio de Montréal, puisque cela aurait accentué la concentration des entreprises de diffusion sur le marché local.

 

Alors qu’en 1952 et en 1975 CFCF avait défié la cour et l’organisme responsable de la diffusion canadienne avec succès, en 1963, son incapacité à convaincre qu’elle désirait servir l’intérêt public l’empêcha de mettre son plan à exécution. Tour à tour, la CBC, le BBG et le CRTC tentèrent de mettre de l’avant une vision de l’« intérêt public » très différente de celle qu’avaient les diffuseurs privés, une vision selon laquelle l’auditeur était un citoyen avant d’être un consommateur, et le public l’ensemble de la communauté plutôt que seulement une partie de celle-ci. Les résultats mitigés obtenus dans ces trois cas illustrent bien la tension entre ces deux visions, présente au sein du système de diffusion canadien, un facteur qui influence encore aujourd’hui les relations entre le CRTC, l’industrie privée et le diffuseur public.

 

 

Références

 

Bird, Roger, éd. 1988. Documents of Canadian Broadcasting. Ottawa : Carleton University Press.

 

CFCF, 1963.  Executive Board Meeting, Marsh, 26. Archives nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 4 ; CFCF-sale to Radio Futura Ltd. 1962-1963 (proposition).

 

CRTC, 1976. Decisions and Policy Statements.

 

Finlayson, S. M., 1949. Brief to be presented by Canadian Marconi Company to the Royal Commission on National Development in the Arts, Letters and Sciences at its hearing in Montreal, November, 1949.  Archives nationales du Canada, RG 28, ser. III 72, vol. 77.

 

Foudrault, Maurice, 1952. Letter to J. Allan Hammond, June 12. Archives nationales du CANADA, RG 97, vol. 149, DOSSIER 6206-72, partIe 4, cas CFCF, 1952.

 

Hammond, J. Allan, 1952a. Letter to Maurice Foudrault, June 17. Archives nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 4, cas CFCF, 1952.

 

Hammond, J. Allan, 1952b. Letter to Maurice Foudrault, June 19. Archives nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 4, cas CFCF, 1952.

 

Hardin, Hershel, 1985. Closed Circuits: The Sellout of Canadian Television. Vancouver  : Douglas and McIntyre.

 

Kingan, J. J., 1952. Letter to W. V. George, June 19. Archives nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 4, cas CFCF, 1952.

 

Marcus, Albert, 1952. Letter to J. Allan Hammond, June 18. Archives nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 4, cas CFCF, 1952.

 

Montreal Herald, 1952. « Caron Unlikely to Broadcast Despite Ruling Against CFCF », 4 juillet. Archives nationales du Canada, MG28 III, vol. 19, dossier 11, CFCF Radio AM, FM, President’s File Correspondence.

 

Montreal Star, 1963. « Local Group Opposes Sale to Radio Station », 27 mars, p. 5B.

 

Nixon, F. G., 1963. Letter to W. V. George, April 29. Archives nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 4, CFCF - sale to Radio Futura Ltd., 1962-63 (proposition).

 

Cour supérieure du Canada, 1952. Decision of the Superior Court of Canada, October 27.  Archives nationales du Canada, RG 97, vol. 149, dossier 6206-72, partie 4, cas CFCF, 1952.

 

Vipond, Mary, 1994.  « The Beginnings of Public Broadcasting in Canada : The CRBC, 1932-36 », Canadian Journal of Communication, 19, p. 151-171.

 


Projets réalisés
Historique de la radio anglophone au Québec

CFCF : les premières années de la radio (voir aussi le texte Anecdotes...)

CFCF devant les commissions Massey et Fowler

CFCF et quelques controverses

Une brève histoire de CJAD

Les relations entre les stations anglaises de Montréal

Liste chronologique des stations radiophoniques de langue anglaise au Québec

Galerie d'images / Gallery

Extraits sonores / Sound Clips

 

 

La Phonothèque Inventaires et bases Projets réalisés







Accueil

PQ

Tous droits réservés
© 1997 Phonothèque québécoise / Musée du son.
Mise à jour le 29 juillet 2005

URL http://www.phonotheque.org/Hist-radio-anglo/CFCF-interet-public.html