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Historique de la radio anglophone |
traduction
de Michelle Bachand et Jean Bernard
- Le communisme n'est pas d'intérêt public
- Santé financière de l’entreprise et intérêt public
- Le projet de loi 22 et la pétition de CFCF
- Conclusion
- Références
(167 K)
En
1952, Gui Caron, chef du Parti progressiste du travail au Québec
et candidat
dans la circonscription de Saint-Louis à Montréal,
demanda à CFCF si lui et
ses collègues pouvaient acheter du temps d’antenne, afin de
promouvoir le
programme du parti pour les élections à venir le 16
juillet. J. Allan Hammond,
le directeur de CFCF, refusa. Caron porta plainte devant la Canadian
Broadcasting Corporation (CBC), qui fit enquête. Pour expliquer
la décision de
CFCF, Hammond écrivit, le 17 juin 1959, qu’il avait
refusé la demande de
Caron parce que « [n]ous croyons que la diffusion de
propagande communiste
n’est pas dans l’intérêt du public » (Hammond 1952a).
Cette
idée que CFCF était le protecteur de
l’intérêt public n’avait rien de
nouveau : deux ans plus tôt, S. M. Finlayson,
président de Marconi du
Canada (propriétaire de CFCF) avait suggéré,
devant la Commission royale
d’enquête sur les arts, les lettres et les sciences (plus connue
sous le nom
de commission Massey-Lévesque), que, puisque les stations
privées étaient des
« station communautaire » et qu’elles devaient
donc bien connaître
leurs auditeurs et ce qu’ils désiraient, elles étaient,
de ce fait, « bien
plus des stations publiques » que la CBC elle-même
(Finlayson, 1949, p.
8). Comme toute entreprise privée, CFCF était
motivée par le profit ; une
grande partie de ses revenus provenant de commanditaires qui
espéraient
atteindre le plus grand nombre d’auditeurs possible, CFCF devait donc
connaître
les auditeurs et ce qu’ils désiraient. Selon Finlayson et
Hammond, donc,
puisqu’ils connaissaient les désirs de leurs auditeurs, ils
connaissaient par
le fait même leurs intérêts. Autrement dit, pour
eux, les intérêts des
auditeurs (les consommateurs) et ceux des citoyens (le public)
étaient les mêmes.
Hammond se croyait dans son droit de refuser la requête de Caron,
parce qu’il
pensait ainsi répondre aux besoins des auditeurs de la station,
c’est-à-dire
le public. La diffusion de ce qui pouvait être
interprété comme de la
propagande communiste choquerait des auditeurs de CFCF… mais ce
n’était pas
par peur de perdre une partie de sa clientèle qu’il refusait la
publicité du
parti de Caron, c’était à cause de «
l’intérêt public »
Intérêts
des auditeurs ou intérêt public ? La question revint quand
Marconi essaya, en
1963, de vendre sa station à Radio Futura ltée,
propriétaire de la station
bilingue CKVL, de Verdun : dans ce cas, les dirigeants de CFCF
étaient prêts
à accepter que les intérêts de l’auditoire de CFCF
ne soient peut-être pas
aussi bien servis… mais elle devait vendre pour assurer l’avenir de la
station de télévision dont elle était
déjà propriétaire, et qui serait
potentiellement beaucoup plus profitable. Le Board of Broadcast
Governors (BBG)
ne crut pas que la vente était dans l’intérêt
public et refusa de donner
son aval à la transaction. Dans un troisième cas, en
1974-1975, CFCF
encouragea ses auditeurs à signer une pétition contre le
projet de loi 22 du
gouvernement québécois (libéral),
déposé afin de préserver et de
promouvoir la langue française, en donnant à celle-ci un
statut officiel dans
l’administration publique et comme langue de travail et en
réduisant l’accès
aux écoles anglaises pour les enfants d’immigrants. Selon les
dirigeants de
la station, devant la montée du nationalisme au Québec,
CFCF se devait de défendre
activement ce qui était dans l’intérêt de ses
auditeurs (et donc du public,
selon eux), c’est-à-dire « les droits des
anglophones ».
En
examinant ces trois controverses, nous démontrerons comment,
pour CFCF,
« station communautaire » et recherche de profit
signifiaient « agir
dans l’intérêt des auditeurs » ; et comment, les
intérêts des auditeurs
étant ceux du public, une station privée agissait
nécessairement dans l’intérêt
public… Pourtant, pour des raisons financières, la direction de
Marconi/CFCF
était prête à vendre son
« public » au plus offrant.
Publicité de Marconi
(190 K)
Canadian Wireless, Juin 1922
Le
communisme n’est pas d’intérêt
public : la controverse Gui Caron.
Les
circonstances entourant le cas Gui Caron laissent croire que la «
défense de l’intérêt
public » fut la tactique qu’utilisa CFCF pour tenter de dissuader
la cour de
condamner la station, qui avait enfreint la loi. Maurice Foudrault
donna
rapidement suite à la plainte de Gui Caron, qu’il reçut
par écrit le 12
juin 1952, et fit enquête ; il écrivit à
Hammond : « Dans sa
lettre, M. Caron se plaint de votre refus et de celui de M. Victor
George
(directeur de la diffusion) de lui vendre du temps d’antenne à
CFCF pour la
diffusion de messages où il serait question de son parti et de
ses candidats »
(Foudrault, 1952, trad. libre). Foudrault ajouta qu’en refusant de
vendre ce
temps d’antenne, Hammond et George contrevenaient à un
règlement : « Chaque
station devrait laisser du temps d’antenne, de façon aussi
égale que
possible, aux partis ou aux candidats désirant acheter ou
obtenir du temps pour
diffuser leurs messages » (voir Bird, p. 162, trad. libre).
Hammond
et George affirmèrent qu’ils ne croyaient avoir violé
aucune règle :
« Nous sommes conscients que notre licence nous oblige
à
fonctionner dans l’intérêt du public » et «
[n]ous croyons que la
diffusion de propagande communiste n’est pas dans
l’intérêt du public »
(Hammond, 1952a, trad. libre). Caron, apparemment conscient qu’il
n’obtiendrait pas satisfaction à temps (avant les
élections) de la part de
la CBC, fit appel au bureau d’avocats Marcus et Feiner pour le
représenter.
Ceux-ci envoyèrent une lettre à la direction de CFCF,
dans laquelle ils prévinrent
qu’un refus d’obéir aux règlements de la CBC dans les 48
heures serait
« interprété par nous comme un refus de votre
part » (Marcus,
1952). CFCF ne broncha pas, mais utilisa un nouvel argument, dans une
lettre
envoyée à Foudrault le 19 juin, où Hammond argua
que le Parti progressiste du
travail n’étant pas encore enregistré au Québec
comme parti politique, ses
représentants ne pouvaient pas se dire
« candidats » dans le sens
des règlements en question (Hammond, 1952b). Le 3 juillet, la
Cour supérieure
déposa un bref en mandamus ordonnant à CFCF de laisser du
temps d’antenne à
Caron, ce que la station refusa de faire une fois de plus (Montreal
Herald,
1952).
Défait
aux élections le 16 juillet, Caron décida quand
même de ne pas laisser
tomber. Le 17 octobre, la Cour supérieure statua que la station
aurait dû
« lui allouer une portion adéquate de temps d’antenne
à la radio »,
mais ajouta qu’on ne pouvait pas faire grand-chose, trois mois
après le fait
; cependant, « le plaignant avait droit à la compensation
demandée et on
devait donc lui rembourser les frais de cour » (Cour
supérieure du
Canada, 1952, trad. libre). Aucun document ne nous permet d’affirmer
que CFCF
accéda à cette demande, bien qu’on puisse penser qu’elle
n’eut pas la
possibilité de s’y soustraire ; il ne semble pas que la CBC
ait entamé
d’autres procédures par la suite.
Il
est important de mentionner que CFCF ne fut pas la seule station de
Montréal
aux prises avec la diffusion de ce qui pouvait être
considéré comme de la «
propagande communiste ». Un correspondant informa Victor George
le 19 juin que
« CKAC et CJAD ont aussi refusé du temps aux communistes
» (Kingan, 1952).
Mais on ne sait pas pourquoi Caron ne poursuivit que CFCF. On peut
croire,
cependant, que si Hammond et George avaient répondu
favorablement aux demandes
de Caron, CFCF se serait retrouvée dans la position d’être
la seule station
privée à accorder du temps d’antenne au Parti
progressiste du travail, ce
qui, sans doute, aurait soulevé des critiques parmi les
auditeurs. On peut
conclure, alors, que si CFCF évoqua l’intérêt
public comme raison de son
refus, sa véritable préoccupation n’était pas le
droit des citoyens à être
bien informés, mais sa crainte de s’aliéner des auditeurs
en diffusant des
propos qui auraient pu les choquer.
Santé
financière de l’entreprise
et intérêt public : CFCF et Radio Futura, 1963
En 1962 et 1963, CFCF fut une fois de
plus sur la sellette quand elle voulut vendre ses stations AM et FM
à Radio
Futura ltée. Radio Futura était propriétaire de
CKVL-AM Verdun, une station
bilingue (25 % d’émissions en anglais, 75 %
d’émissions en français)
et avait également une licence de station FM. Le 26 mars 1963,
aux audiences
publiques tenues par le BBG, le nouvel organisme fédéral
responsable des
questions de diffusion, le point le plus important à l’ordre du
jour fut les
conséquences qu’aurait une telle vente pour les auditeurs de
radio à Montréal.
Comme cela se fait habituellement,
Marconi avait apparemment fait savoir discrètement, dans la
communauté
radiophonique, l’automne précédent, que ses deux stations
étaient à
vendre. Huit ou dix groupes tinrent des réunions avec les
directeurs de
Marconi, mais seul Jack Teitolman, président de Radio Futura,
fit une offre
(d’un peu plus de 1 million de dollars) (Montreal Star, 1963). Le
BBG devait établir si la vente respecterait ses
règlements, et surtout si elle
répondrait aux intérêts de l’industrie et des
auditeurs. La réponse fut
non : cette vente représenterait, selon les critères
du BBG, un service
en double.
« L’opinion du Bureau sur
l’allocation de deux licences à une station, pour lui permettre
de
fonctionner au sein du même médium dans un marché
particulier, est justifiée
seulement lorsqu’elle semble nécessaire pour assurer un service
à une
minorité (par exemple dans une autre langue). » (Nixon,
1963, trad. libre) De
toute évidence, le BBG croyait que le service offert en anglais
par CFCF était
assuré sous la propriété de Marconi et que, ainsi,
la vente n’était pas nécessaire
pour protéger l’intérêt de la minorité
anglophone. Par ailleurs, on aurait
pu apporter l’argument que, toutes proportions gardées, il n’y
avait que
peu de stations de langue française à Montréal, et
que la volonté de CKVL
d’offrir une programmation uniquement en français si la vente
avait lieu
pourrait augmenter la présence francophone sur les ondes
à Montréal. Mais
CKVL n’utilisa pas cette argumentation ; et la station offrit par la
suite une
programmation entièrement francophone de toute façon. Le
Bureau conclut également
que Radio Futura ne pouvait posséder quatre stations (deux AM et
deux FM) sur
le même marché, en accord avec les politiques
établies depuis longtemps.
Fait plus intéressant, les audiences
permirent d’éclairer certains aspects de la
réalité de la radio de langue
anglaise : entre autres à propos de la programmation qui
serait diffusée
par CFCF dans l’éventualité d’un changement de
propriétaire. Où la
direction de Radio Futura espérait-elle trouver des talents de
langue anglaise
pour les nouvelles séries et les émissions de variété qui étaient
proposées (CFCF, 1963, p. 111-121) ?
Malgré l’argumentation de A. B. R. Lawrence, l’avocat de Radio
Futura,
selon laquelle il y avait beaucoup de talents disponibles, des
anglophones, des
immigrants, des francophones bilingues, et malgré le fait qu’il
démontra que
la Guilde des musiciens de Montréal était pleinement
d’accord avec cette
transaction qui augmenterait « l’emploi et les revenus de
[ses] membres »,
le Bureau ne sembla pas entièrement convaincu. Cette discussion
révéla aussi
que CFCF était perçue comme une station peu encline
à encourager les talents
locaux dans le cadre de ses émissions. En fait, il semble que,
faisant face à
une concurrence toujours plus vive de la part de CJAD et de CFOX sur la
fréquence
AM, CFCF avait tout simplement décidé de ne pas faire les
investissements nécessaires
pour conserver sa part de marché.
Ce point intéressa d’ailleurs
beaucoup les membres du BBG : pourquoi Marconi voulait-elle vendre
« la
plus vieille station, non seulement au Canada, mais aussi dans le monde
» (p.
145) ? On demanda à Victor George, alors directeur
général de la
station, si Marconi aurait voulu vendre sa station de radio si elle
n’avait
pas été également propriétaire d’une
station de télévision. George
essaya d’éluder la question, mais admit qu’il était
important pour la
compagnie de conserver « un moyen de véhiculer [son]
image » comme
elle l’avait fait depuis 1919. Son interlocuteur arriva à cette
conclusion évidente :
« Si vous n’aviez pas la télévision, vous
voudriez continuer à présenter
votre image au public montréalais [par la radio] »
(p. 146-147, trad.
libre).
Victor George se vit donc dans
l’obligation d’exposer franchement aux membres du Bureau les
intérêts
financiers en jeu dans cette affaire :
Notre entreprise a un rôle important
à jouer sur le marché de la diffusion, et nous tentons
d’être à la hauteur
de ces objectifs. L’un de ceux-ci est le fonctionnement de notre
station de télévision
à Montréal, dont nous voulons qu’elle véhicule une
bonne image de notre
organisme et qu’elle gagne et conserve le respect des
téléspectateurs. Par
ailleurs, nous sommes également présents dans d’autres
secteurs reliés à
ce domaine. Nous avons plusieurs projets, de nouveaux produits, de
meilleures façons
de réaliser des choses ; nous essayons de faire notre part pour
développer
l’économie canadienne en voulant exporter nos produits […]. Mais
nos
ressources, temps et argent, ne sont pas illimitées. Ainsi, […]
quand nous
avons reçu une offre d’achat pour les stations de radio, nous
l’avons étudiée
à la lumière de tous ces facteurs, et nous avons
pensé que nous servirions
mieux les intérêts de l’entreprise et de tout ce que la
compagnie représente
si nous l’acceptions (p. 98-99, trad. libre).
Non seulement Marconi tentait presque
de faire croire que l’offre d’achat tombait du ciel, mais il
était clair
que l’entreprise avait deux questions importantes en tête lorsqu’elle avait
décidé de
vendre : dans quel secteur désirait-elle mettre ses
priorités à
l’avenir, et comment rester présent sur le marché de la
diffusion radio ou télé.
Or, les profits qu’apporterait la télévision
étaient beaucoup plus alléchants
que ceux de la radio. George affirma que vendre CFCF n’était pas
une décision
suscitée par « le découragement »
(p. 99), mais il était très
clair que l’entreprise avait décidé de privilégier
son secteur
manufacturier, et que la télévision était beaucoup
plus intéressante dans
cette perspective. Marconi dut donc accepter la décision du
Bureau BBG, et CFCF
continua de diffuser pendant une dizaine d’années par la suite.
CFCF et le CRTC
(173 K)
Le Jour, 1976
Le
projet de loi 22 et la pétition de
CFCF
Les changements politiques au Québec
au cours des années 1970 eurent des effets profonds sur
l’attitude de CFCF-AM
envers son auditoire. La direction de cette station de langue anglaise,
dans une
province où l’on mettait de plus en plus l’accent sur la
défense et
l’usage du français, se posait la question suivante :
comment représenter
le mieux possible les intérêts de la communauté
anglophone. L’« intérêt
public » qu’affirmait défendre la station devint de plus
en plus les intérêts
du public d’expression anglaise. Dans l’atmosphère
politique chargée
du Québec, CFCF, plutôt que rester neutre, choisit, au
moins à quelques
occasions, de définir le « service public » qu’elle
offrait comme un
plaidoyer pour les « droits des anglophones ».
Cela se manifesta clairement lorsque
le gouvernement libéral de Robert Bourassa présenta le
projet de loi 22 en
1974. Du 3 au 16 septembre 1975, CFCF-AM utilisa du temps d’antenne
pour
inciter ses auditeurs à signer une pétition contre le
projet de loi. Cela
choqua certains auditeurs, qui se plaignirent auprès du Conseil
de la
radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
(CRTC), qui avait remplacé
le BBG.
Le CRTC répondit à ces protestations
en envoyant un télex à la station demandant de lui faire
parvenir les bandes
des émissions litigieuses. CFCF envoya au CRTC les
enregistrements audio de
toutes les diffusions faites entre le 3 et le 16 septembre ; les rubans
des émissions
des 14 et 15 septembre étaient cependant inaudibles, ce qui
contrevenait aux règlements
du CRTC. L’enquête préliminaire du Conseil conclut que
CFCF semblait
permettre la présentation des arguments à la fois pour et
contre le projet de
loi 22, mais qu’elle ne diffusait aucune critique de la décision
qu’elle
avait prise de faire circuler la pétition. Le CRTC conclut alors
que la station
avait failli à son devoir de maintenir un certain équilibre dans sa
programmation (CRTC, 1976, p. 453). Plus particulièrement, le
Conseil faisait référence
à la section 2 de la Loi sur la radiodiffusion de 1968 :
2c. Toutes les personnes ayant une
licence de diffusion ont la responsabilité des émissions
qu’elles diffusent,
mais le droit à la liberté d’expression et le droit des
personnes de
recevoir des émissions sujettes seulement aux statuts et
règlements généralement
applicables est inaliénable.
2d. La programmation fournie par le
système de diffusion canadien doit être variée et
complète et devrait
fournir une occasion raisonnable et équilibrée d’exprimer
des points de vue
différents sur des sujets préoccupant le public […]
(Bird, p. 374, trad.
libre).
En mars 1976, la licence de CFCF
devait être renouvelée, et la question de la
pétition fut discutée. Dans son
rapport sur « les motifs soulevés par la
campagne de CFCF contre le projet de
loi 22 », le CRTC conclut que le cas
« n’[était] pas unique, mais [était]
dû aux conditions actuelles, qui donnaient lieu à une
programmation controversée
dans tout le système » (CRTC, 1976, p. 1, trad. libre). Le
rapport ajoutait
que le CRTC croyait que les diffuseurs devraient être
« stimulés à
faire des expériences et à trouver de nouvelles
approches, de nouveaux formats
et critères pour des émissions controversées
». Le CRTC renouvela donc
la licence de CFCF, tout en concluant que dans ce cas particulier, la
station
avait participé à soulever une controverse à
propos d’une affaire d’intérêt
public, puisqu’elle n’avait traité de cette affaire que sous un
seul angle,
sans permettre un véritable débat. Comme nombre
d’universitaires l’ont noté
à ce moment (voir Hardin, 1985), l’organisme n’avait à sa
disposition
qu’une seule sanction, qui s’appliquait même dans le cas d’une
infraction
mineure — la révocation de la
licence —, sanction plutôt draconienne compte tenu de
l’investissement énorme
que représente le fonctionnement d’une station de radio. CFCF
affirma
qu’elle avait agi dans l’intérêt de ses auditeurs en
majorité anglophones
; elle avait risqué l’annulation de sa licence pour cimenter
cette relation
avec son auditoire, un risque qui s’avéra finalement sans
conséquence.
Marconi et CFCF se préoccupèrent
toujours de définir ce que le public désirait. Comme
station qui
s’enorgueillissait de faire partie de sa communauté et de
répondre à ce
qu’elle croyait être les besoins de ses auditeurs, CFCF affirma,
en plusieurs
occasions, que sa façon de faire, autant sur le plan de la vie
de
l’entreprise que sur celui de la programmation, avait pour seule raison
l’«
intérêt public ».
Ainsi, en rejetant la demande de Gui
Caron en 1952, CFCF assura qu’elle ne faisait que respecter la
volonté de ses
auditeurs, qui ne voulaient pas entendre parler de communisme. Alors
qu’on
aurait pu penser qu’une station de radio comme CFCF avait la responsabilité d’informer les
citoyens de tous les choix politiques qui leur étaient offerts,
en fait, aucune
station privée ne désirait être associée
à un message politique ne
respectant pas la norme de ce qui était
généralement accepté à l’époque.
Ironiquement, le diffuseur public fut la seule station qui, suivant le
principe
que les auditeurs devaient être considérés comme
des citoyens plutôt que
comme des consommateurs, dut s’aliéner certains d’entre eux en
offrant à
l’auditoire la possibilité de prendre connaissance des positions
de partis
politiques non populaires (Vipond, 1994).
De la même façon, CFCF commandita la
pétition contre le projet de loi 22 parce que, selon les
dirigeants de la
station, c’était dans l’intérêt des auditeurs de
langue anglaise. Tout en étant
consciente qu’elle pourrait perdre la fidélité de
certains de ses auditeurs
qui étaient en faveur du projet de loi, la direction de la
station décida
qu’il était prioritaire de raffermir ses liens avec la
communauté de langue
anglaise, qu’elle considérait comme étant son
« public ». Encore
une fois, « auditeurs » ne signifiait pas
« large public aux points de
vue variés », mais plutôt « groupe plus
restreint que les commanditaires
cherchaient à rejoindre », et dont la
fidélité aux émissions pouvait
être prouvée.
L’affaire entourant le projet de
vente de la station à Radio Futura souleva également un
certain nombre de
questions sur la vision que la direction de la station avait de son
« public ».
Alors que, de toute évidence, Marconi désirait garder son
entreprise de
diffusion d’abord pour continuer de pouvoir présenter
une certaine « image », elle en
conclut que la télévision était un meilleur (et
plus profitable) médium pour
y parvenir… surtout que s’ajoutait à cela l’objectif de
produire, de
vendre et d’exporter de l’équipement télé. Dans ce
cas, la direction fut
incapable de prouver que sa « mission » était
véritablement
« d’intérêt public » plutôt
que
dans l’intérêt (le profit) de l’entreprise. Le BBG
empêcha la vente précisément
parce qu’il considérait que ce n’était pas dans
l’intérêt des
auditeurs de la radio de Montréal, puisque cela aurait
accentué la
concentration des entreprises de diffusion sur le marché local.
Alors qu’en 1952 et en 1975 CFCF
avait défié la cour et l’organisme responsable de la
diffusion canadienne
avec succès, en 1963, son incapacité à convaincre
qu’elle désirait servir
l’intérêt public l’empêcha de mettre son plan
à exécution. Tour à
tour, la CBC, le BBG et le CRTC tentèrent de mettre de l’avant
une vision de
l’« intérêt public » très
différente de celle qu’avaient les
diffuseurs privés, une vision selon laquelle l’auditeur
était un citoyen
avant d’être un consommateur, et le public l’ensemble de la
communauté
plutôt que seulement une partie de celle-ci. Les résultats
mitigés obtenus
dans ces trois cas illustrent bien la tension entre ces deux visions,
présente
au sein du système de diffusion canadien, un facteur qui
influence encore aujourd’hui les relations entre le CRTC, l’industrie
privée
et le diffuseur public.
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1994. « The Beginnings of Public
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Mise à jour le 29 juillet 2005
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