Moments
marquants de l´histoire
des studios d´enregistrement
à
Montréal et liens avec l´évolution de
l´industrie du disque
1920-1940
Premiers
enregistrements de l´ère électrique à
Montréal
Textes,
recherches,
numérisation, photographies, édition et entrevues
réalisés
par Christian Lewis
1920
G.
W. Carpenter et W. L. Carson de l’armée américaine
perfectionnent
l´enregistrement magnétique sur un support de fil. Sept
ans plus tard, la
polarisation à courant alternatif est brevetée. Les
recherches seront
suspendues.
1920
Roméo Beaudry poursuit des
activités de producteur pour
l´étiquette Starr-Gennett sur le boulevard Saint-Laurent à
Montréal. Il
enregistre au studio d'enregistrement d'Herbert Berliner plusieurs
artistes
dont Hector Pellerin, Isidore Soucy, Ovila Légaré,
Alexandre Desmarteaux et
surtout Mary Travers, connue sous le nom de La Bolduc. Il édite
aussi des
artistes de France. Ses connaissances éclectiques lui assurent
des succès dans
divers genres musicaux. Il fonde aussi une maison d'édition de
musique en
feuille, la Radio Music Publisher/Éditions Radio, sur la rue
Amherst à
Montréal.
Publicité
de disques Gennett
1921
Nouvelle
usine à Montréal de la compagnie Berliner, alors en
pleine expansion. Herbert démissionne de chez Berliner Gramophone
Company pour se consacrer
à Compo. Il fait
concurrence à son frère Edgar. Il lui ravit les
meilleurs
professionnels et les engage chez Compo, dont Henri Miro, directeur
musical, Elmer
Avery,
ingénieur du son et Walter B. Rogers, compositeur et
ingénieur du son de la
Victor. Cette nouvelle équipe dispose d´un studio d'enregistrement sur la
rue Metcalfe. C´est
dans ce studio que seront
enregistrés les
nouveaux disques Starr, pour le
marché
local.

Publicité
des magasins de Montréal distribuant les produits Columbia, 1921
1921
Herbert
Berliner fonde la maison de disque Sun à Toronto, appelée
plus tard Apex. Il
obtient une entente de distribution avec la compagnie OkeH.
L'instauration d'une industrie canadienne du disque encourage la
réalisation de quelques nouveaux enregistrements à Montréal et à
Toronto.
Article
sur l´enregistrement sonore en 1922

Palmarès
de disques, 1922

Publicités
des disques Columbia et des phonographes McLagan, 1923
1924
Columbia
crée une nouvelle série d’artistes
canadiens-français, dont les chanteurs de
musique traditionnelle Alexandre Desmarteaux et Charles Marchand.
1924
Herbert Berliner baisse les prix de
ses disques
Apex depuis quelques temps, ce qui est un des facteurs, mais pas le
seul, poussant son
frère Edgar
à vendre la nouvelle
usine Berliner et
sa
filiale His
Master’s Voice à la
compagnie Victor
Talking Machine en 1924; Edgar Berliner
en acquiert une part
importante et devient président. 50 % des parts
appartenaient déjà à la Victor, ce qui laisse
à penser qu'il y a
d'autres raisons à cette vente. Victor avait
l’œil sur
l’usine de Montréal, concurrente de l’usine de Camden au New
Jersey. Avant
qu’Herbert Berliner ne fonde Compo, la compagnie Victor n´apprécie
guère l’essor
des disques canadiens, au détriment de ceux pressés aux
États-Unis. Victor
autorise l’usine
montréalaise à construire le
modèle Victrola spécial créé à
Saint-Henri. Cet appareil combinait le phonographe
à un récepteur radio. De son côté, Herbert
Berliner s’associe avec la Starr et
d’autres petites compagnies pour contrer l’attitude de monopole de la
Victor.
Celle-ci perd ses procès. Les revendeurs
bénéficient d’une liberté
d’approvisionnement et de fixation des prix.
1925
Victor
publie commercialement le premier enregistrement
électrique : La danse
macabre de Camille Saint-Saëns avec le Philadelphia
Orchestra sous
la direction
de Leopold Stokowski. Celui-ci collaborera intensivement avec les
ingénieurs de
Bell et de Victor afin d’améliorer les
performances de l’enregistrement électrique.
1925
Brunswick
met sur le marché le premier gramophone entièrement
électrique nommé le Panatrope,
avec une tête de lecture permettant une
reproduction électrique (pick-up),
un amplificateur à tubes et un
haut-parleur. Le
label Brunswick publie une série de disques d’artistes
québécois.
1925
Les
premiers enregistrements électriques canadiens sont faits chez
Compo à Lachine,
en périphérie de Montréal. Compo rachète la
compagnie Starr. Les compagnies
Starr et His Master’s Voice enregistrent la majorité des disques
des artistes
canadiens à Montréal plutôt qu’à New York.
1925
La
Columbia succède à la compagnie Apex et obtient les
droits de distribuer aux
canadiens-français de la Nouvelle-Angleterre les disques en
français réalisés
par la compagnie Compo à Montréal.
1926
La
compagnie Brunswick enregistre Louis Chartier, Henri Lacroix,
Elzéar Hamel et
Charles Marchand.
1927
Herbert
Berliner et Roméo Beaudry publient près de 100
enregistrements d’artistes
francophones en 1927, 10 fois plus que son concurrent Victor-HMV.
Beaudry
adapte en français des succès américains, pratique
qui traversera le siècle.
Hugh
Alfred Joseph est désigné pour relancer dès
l’année suivante le catalogue
francophone de Victor-HMV. La prohibition américaine
entraînera le séjour de
plusieurs musiciens de jazz à Montréal où des
enregistrements eurent lieu. Les
chansons folkloriques ont connu des heures de gloire. Des artistes
concurrents
enregistraient parfois les mêmes chansons. Chez Victor-HMV, on
engage Joseph
Allard, Arthur- Joseph Boulay et Henri Lacroix.
1928
Hector
Pellerin enregistre un de ses derniers disques. Lui qui excellait durant
l’ère de
l’enregistrement acoustique, grâce à sa voix très
puissante et à sa
prononciation exagérée, il
ne s'adaptera pas au microphone à l'avènement de
l'enregistrement électrique. On lui préfère des
voix plus intimistes formés à
l’école de la radio, annonçant la vogue des chanteurs de
charme à la Bing
Crosby, qui 15 ans plus tard, déferlera au Québec.
1929
La compagnie Radio Corporation
of America
(RCA)
acquiert à Montréal la Victor Talking Machine Company et
devient la RCA –
Victor.
1929
Des
enregistrements expérimentaux sont faits chez Compo pour
allonger la durée des
disques (sillon plus fin pour les 78 tours).
1929
Mary
Travers (La Bolduc) est découverte par Roméo
Beaudry. Ses
succès aideront la compagnie Starr
à affronter la crise économique. Ovila
Légaré, Juliette Béliveau, Isidore Soucy
et Alfred Montmarquette enregistrent aussi chez Starr.
1929
L’émission
radiophonique L’Heure provinciale, diffusée à
CKAC et commanditée par le
gouvernement du Québec, présente des contenus de culture
savante pour le grand
public dont des créations musicales de Lionel Daunais, qui
fondera le Trio
lyrique en 1930.
1929
Joseph-Arthur
Dupont, directeur de CKAC, conclut une entente d'affiliation avec le
réseau
américain Columbia Broadcasting System (CBS) pour diffuser des
concerts de
musique classique, dans une perspective d’échanges (orchestre
d’ici diffusé
là-bas et vice-versa) ; Dupont, en 1930, négocie une
entente avec une
station de New York pour diffuser l’opéra à la radio; en
1931, le Metropolitan
Opera de New York inaugure la radiodiffusion en direct de ses
opéras le samedi
après-midi, émission d’une longévité
exceptionnelle, encore diffusée sur les
ondes de Radio-Canada au milieu des années 2000. L´arrivée
de la radio a suscité plusieurs craintes dans le milieu. On
indique même sur
les disques : «radiodiffusion interdite»,
jusqu´à ce que les gestionnaires
s´aperçoivent de la convergence des intérêts
des deux industries.
1929
Décès
d´Emile Berliner à Washington. Il était
également inventeur des tuiles acoustiques pour
amortir le son des salles et des studios trop
réverbérants.
1930
à 1940
Durant
cette décennie, les musiciens de folklore Henri Lacroix, Isidore
Soucy et
Joseph Allard dominent le palmarès.
1930
Le
critique musical de La Presse et La Patrie, Léo-Pol Morin, dit
à propos des
nouveaux phonographes que «leur
sonorité est bonne, [par
rapport aux premiers]
appareils criards et agaçants… Les procédés
d´enregistrement, empiriques au
début de cette industrie, ont fait place à des
procédés scientifiques précis et
d´un rendement certain. Les enregistrements électriques
s´opèrent à distance,
dans des … laboratoires spéciaux où le son est
purifié… Mais rien ne nous dit
que nous possédons le dernier mot dans cet art de
l´enregistrement…». Il
ajoute à propos de la radio naissante : «Les
musiciens ne suivent que d´un
pas mal assuré les progrès de la science, qui nous dote
chaque jour d´appareils
de plus en plus perfectionnés. Au lieu de se rapprocher des
ingénieurs, … ils
se tiennent à l´écart. Plutôt que de bouder
ces appareils, ne devraient-ils pas
en user comme moyen d´action? … Il faut qu´ ils protestent
contre la
banalité des programmes quotidiens,
…
qu´ils sévissent contre l´abondance autant que
contre la médiocrité».
1930
Edgar
Berliner quitte la présidence de la compagnie Victor, marquant
la fin d´une
époque.
1930
Avec les conséquences de
la crise
économique, des
compagnies disparaissent dont Edison et Victor, acheté par RCA
en 1929. La compagnie
Brunswick commence à enregistrer les
artistes d’ici à Montréal. Elle sera toutefois
rachetée par Warner Brothers. Le
catalogue Brunswick sera proposé en série
économique sur l’étiquette Melotone.
1931
Sortie
commerciale des disques 78 tours Starr double durée,
pressés chez Compo,
composés essentiellement de rééditions; ce genre
d´édition traversera le
siècle.
1931
On
insère au processus d´enregistrement les premières
expériences d’écho
artificiel.
1931
La
maison de disques Aurora de la compagnie canadienne Eaton distribue
des
disques de jazz de King Oliver et Duke Ellington soi-disant
faits au Canada
selon l´étiquette, mais probablement produits aux
États-Unis. Plus tard, Hoagy
Carmichael enregistrera à Montréal pour la compagnie
Victor, sous un
pseudonyme.
1931
L’ingénieur
britannique Alan Blumlein, de la compagnie naissante EMI,
établit les bases de
l’enregistrement stéréophonique, commercialisé
deux décennies plus tard.
1931
La
première bande magnétique commerciale, fournie par BASF,
est utilisée dans un
magnétophone Ferroton de la compagnie AEG. Dès 1918, la
propriété permettant
d’effacer et de réutiliser un support d’enregistrement
magnétique, est
découverte par Leonard F. Fuller. L’appareil deviendra de moins
en moins lourd,
sera perfectionné par les Allemands, puis, après la
seconde guerre mondiale,
deviendra la norme dans les studios d’enregistrement et à la
radio, notamment à
cause des facilités de montage. Des
bobines de fil,
plutôt que des rubans magnétiques, ont été
les premiers supports magnétiques. L’utilisation
de la bande déterminera l’évolution artistique et
technique du médium
disque : collage, superposition de pistes surtout à partir
des années
1960, flexibilité de production, multiplication des prises…
1932
Le
cinéma parlant s’installe à Montréal créant
un engouement pour les comédies
musicales américaines et les chansons des films français.
1933
Le
studio de la compagnie Compo sert à produire des transcriptions
radiophoniques
pour remédier à la chute de productions musicales.
Dès 1934, on gravera
directement sur une couche de laque des disques pouvant durer
jusqu’à 30
minutes, mesurant jusqu’à 40 cm.
1935
Starr
mise sur des chanteurs de charme inspirés par Tino Rossi et Charles Trenet ainsi que par les
comédies
musicales et les romances cinématographiques
américaines : Ludovic Huot et
Lionel Parent. Ce dernier, de même que Jean Lalonde, se serviront
du microphone
pour créer une intimité, comme à la radio. Parent
misera aussi sur le
répertoire country.
Compo
distribue et reproduit le catalogue Decca qui contribuera à
renouer avec le
succès la décennie suivante. Vers 1940, Compo
emménage dans des locaux plus
spacieux, toujours à Lachine. On y presse notamment des disques
Varsity,
Gavotte, Warner et United Artists.
Disque Decca de Rudy Hirigoyen
1936
RCA
Victor propose une série économique (Bluebird),
inspiré du succès aux
États-Unis de ce concept depuis 1933. En plus des vedettes du
folklore
québécois, certains chanteurs de France sont
diffusés ici, dont Maurice
Chevalier et Jean Sablon. RCA propose une série
économique (étiquette Bluebird)
offrant des rééditions de disques d‘artistes
québécois ; la plupart des
autres compagnies font de même (étiquettes Melotone,
Duprex, Velvet-Tone,
Okeh). Les prix chutent de 1$ par disque à 65¢ puis à 35¢.
Disque
Starr d´Ovila Légaré
1936
Succès
remarquable des émissions de chansons diffusées à
CKAC dont celle animée par
Ovila Légaré, Jean Lalonde et Roger Baulu. Isidore Soucy
anime aussi une
émission à CKAC. Le succès des disques
dépend de plus en plus de l’influence de
la radio. Les émissions consacrées à «La
Bonne chanson», recueil de chansons
issu d’un mouvement catholique, assurent une popularité à
des artistes tels Albert
Viau, le Quatuor Alouette et les
Grenadiers impériaux.
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