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Historique de la radio communautaire

CIBL

  par Roger Fritz Rhéaume

 


 


 

CIBL, la radio communautaire francophone de Montréal

 

Introduction

 

L’une des marques de commerce de CIBL est d’être une radio communautaire résolument francophone. Bien entendu, cela n’est pas une exclusivité puisqu’une bonne partie de la programmation de Radio Centre-Ville, première radio communautaire à desservir la communauté montréalaise, est francophone. Toutefois, cette dernière s’est plutôt fait connaître par sa diffusion en plusieurs langues et elle est considérée avant tout comme une radio communautaire multiethnique. Dans le cas de CIBL FM, nous pourrions affirmer que c’est une radio qui a fait de la francophonie sa marque de commerce. C’est ce que nous allons tenter d’expliquer dans le texte qui suit et cela à travers l’histoire de cette radio qui a aussi fait de l’originalité un de ses attributs.

 

Les origines

Tout comme Radio Centre-Ville l’avait fait peu auparavant, les promoteurs et pionniers de CIBL FM adoptaient en 1977 une déclaration de principes. Ce document faisait aussi état de la volonté de la station de desservir la population des quartiers de l’est de Montréal et de lui rendre accessible un outil de communication électronique. Selon les promoteurs, les réseaux commerciaux et étatiques présentaient « une information déformée par les intérêts que défendent ces réseaux ». Quant au contenu de ces réseaux, il était également mentionné que leur programmation ne tenait pas compte de l’identité culturelle de la population de l’est de Montréal. De plus, on faisait état du fait que les groupes «voués à la promotion des intérêts de la population manquent généralement de moyens de diffusion…».

 

Non seulement il était impératif de rendre accessible à la population ainsi qu’aux organismes populaires des quartiers de l’est de Montréal un outil radiophonique mais on désirait aussi lui en confier le contrôle. Pour les promoteurs de CIBL, la population a droit à une information à caractère analytique et la radio communautaire doit être représentative de ses intérêts en véhiculant l’expression de la culture populaire: est réaffirmé le principe de l’autonomie de la radio en matière d’orientation et de fonctionnement. Bref, nous sommes face à une radio communautaire urbaine typique des années 1970, une radio de services à caractère militant.

 

L’incorporation comme organisme sans but lucratif suivra en 1978, et en 1979, la station obtient un permis de radiodiffusion du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada. Le 26 avril 1980 à 10 heures, les ondes montréalaises accueillent un nouveau joueur: CIBL FM est au « monde », installé dans des locaux du Pavillon d’éducation communautaire d’Hochelaga-Maisonneuve.

 

Au rang des pionniers de la station se trouvent plusieurs étudiants en communications de l’UQAM et des militants d’organismes communautaires de l’est de Montréal. Quant au territoire de diffusion, il se limite aux quartiers Hochelaga-Maisonneuve, Rosemont, Centre-Sud et Plateau Mont-Royal. Limitée à 16 watts, la puissance de la station n’autoriserait certes pas une diffusion au-delà de ces frontières.

 

 

Une radio qui se cherche

 

Dès le début, la station se place résolument dans la mouvance militante tant sur le plan de l’information communautaire que de l’information plus traditionnelle et journalistique. Elle se distingue bien sûr par le choix des sujets et par le traitement de l’information, par un parti pris assumé pour une lecture de gauche des événements. Des émissions d’informations communautaires, des émissions thématiques portant, par exemple, sur les droits des locataires, sont au programme. Très tôt cependant, ce type d’émission voisine avec des émissions culturelles originales parfois décapantes. Une place de choix est faite à des émissions de jazz, de blues, de musique du monde, de nouvel âge, de musique actuelle et de musique francophone d’ici et d’ailleurs. La station commence à se faire connaître avant tout pour ce type d’émission et l’arrivée de Rock et Belles Oreilles va accélérer le processus. On apprécie CIBL pour son engagement dans le développement communautaire, pour son information de quartier par le biais de magazines d’informations communautaires tel Accès-CIBL et pour sa couverture exhaustive de dossiers locaux (ex. terrains Angus, 1984). Toutefois, c’est sa programmation culturelle qui attire le plus l’attention de l’auditoire et des observateurs des médias.

 

Des questions d’orientation, voire existentielles, surgissent dès lors que l’on constate, après quelques années de diffusion, que l’auditoire n’a pas vraiment le profil recherché par les pionniers de la station. Comme le dit si bien Pierre Fortin, un acteur de la première heure : «On s’attendait à ce que Monsieur et Madame Tout-le-monde viennent partager leurs goûts musicaux un peu comme les dames se rassemblaient pour partager leur intérêt pour le tricot au sein d’un atelier de couture. Mais dans les faits, la radio a séduit des gens plus scolarisés qui partageaient davantage un intérêt culturel. »

 

D’autre part, la station éprouve des problèmes sur le plan financier. À 16 watts, on se sent un peu à l’étroit. En 1985, une demande d’augmentation de puissance est déposée au CRTC. Malgré l’appui unanime de l’Assemblée nationale, de tous les conseillers municipaux de Montréal de même que des centaines d’appuis de groupes du milieu, le CRTC refuse une première fois en 1987 puis accorde (enfin!) en 1990 la permission de diffuser dans « les quartiers francophones de Montréal ». L’augmentation de puissance, de l’ordre de 225 watts d’apparence rayonnée, était vitale sur le plan financier puisqu’elle rendait possible une augmentation de l’auditoire et ce faisant, améliorait la capacité de la station à générer des revenus, grâce à la vente de publicité et à des activités de levées de fonds.

 

 

Une programmation francophone

 

L’obtention de la nouvelle fréquence, le 101,5, a marqué un tournant dans l’histoire de la station. Déjà s’étaient amorcé au sein de la station et de sa programmation des changements qui allaient consacrer au fil des ans son statut de radio communautaire résolument francophone, notamment en matière de musique.

 

Certaines émissions traitaient depuis longtemps de la chanson francophone et étaient considérées comme des locomotives, à savoir des émissions susceptibles de générer de l’audience et d’améliorer la cote d’écoute. Depuis 1984, des animateurs bénévoles se faisaient, via une émission diffusée le dimanche matin (Café crème), les chantres de la chanson francophone d’hier et d’aujourd’hui. De plus, les radiothons de CIBL FM étaient l’occasion de spectacles-bénéfice où des auteurs-compositeurs et chanteurs de renom tels Richard Desjardins, Michel Rivard, Plume Latraverse, Gerry Boulet, etc., participaient à la promotion de la station. Leur participation se voulait une appréciation des efforts de CIBL FM pour promouvoir la chanson de langue française, plus particulièrement celle du Québec.

 

Dans les années 1990, la programmation était moins axée sur la chose sociale et sur le développement communautaire. Ces préoccupations n’étaient pas absentes, cela va sans dire, car le service d’information de la station était toujours actif et faisait une couverture assidue des événements politiques et sociaux des quartiers francophones de la métropole montréalaise, plus particulièrement de l’information municipale. Il n’en demeure pas moins que le culturel prenait une place importante dans la programmation et aussi dans l’affection que portait l’auditoire envers sa radio communautaire « libre ».

 

La programmation de la chanson francophone n’était pas qu’une affaire d’émissions spéciales, mais de toute la programmation musicale de la station. C’est avec enthousiasme que la communauté «cibélienne» prenait partie pour la chanson francophone. Lors d’audiences publiques du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada, que ce soit lors de leur renouvellement de permis de diffusion ou lors d’audiences traitant de la programmation musicale des stations francophones au Canada, les représentants de CIBL clamaient haut et fort leur volonté de diffuser et de promouvoir la chanson francophone. Il n’est donc pas étonnant de constater l’appui indéfectible des artistes de la chanson québécoise à la station : il en a été de même pour le gouvernement québécois pour qui CIBL FM était un canal de diffusion privilégiée de la culture francophone québécoise.

 

 

Le mouvement du balancier

 

Le succès de CIBL, à la suite de l’augmentation de sa puissance de diffusion, ne s’est pas démenti au cours des années 1990. En effet, l’auditoire de la station passe de 30 000 auditeurs à plus de 100 000. Le budget augmente aussi et passe de 180 000 $ à un peu plus de 400 000 $, car les revenus publicitaires, longtemps modestes, ont suivi la même courbe ascendante que les cotes d’écoute et de popularité de la station. Ce n’est pas la richesse mais avec des revenus publicitaires de près de 200 000 $, la station présente une performance enviable, comparativement aux autres stations communautaires urbaines du Québec.

 

Le succès aidant, CIBL devient en quelque sorte la coqueluche des artistes, de l’industrie du disque et plus globalement de l’industrie culturelle. La station n’éprouve aucune difficulté à trouver des présidences d’honneur aux radiothons de la station et le lobbying, une activité importante pour des organismes somme toute fragiles comme CIBL, n’en est que plus facile. Bref, les choses tournent plutôt bien, mais …

 

En 1995, CIBL FM organise la Quinzaine de la radio: deux semaines de programmation spéciale pour fêter la création radiophonique. Malgré un succès radiophonique et un succès d’estime, les revenus restent relativement modestes. La station tente donc une nouvelle fois d’obtenir une augmentation de fréquence. Malheureusement, la compétition est forte, car Radio-Canada pose sa candidature pour l’obtention de la même fréquence. Malgré des appuis nombreux, c’est Radio-Canada qui hérite de la fréquence 95,1 FM et CIBL reste sur sa faim.

 

Après une telle déconvenue, et tout comme en 1987 lors d’un autre refus du CRTC, la station vit une période difficile tant à l’externe qu’à l’interne. Sur les ondes de Montréal, la donne a changé. Outre CIBL, quatre stations non commerciales font partie du paysage médiatique montréalais : Radio Centre-Ville (CINQ FM), CISM, la radio universitaire de l’Université de Montréal, CKUT FM, la radio universitaire de l’Université McGill ainsi que Radio Ville-Marie, une station religieuse. Beaucoup de médias dits alternatifs offrent un produit qui, sous certains rapports, présente quelques similitudes avec CIBL mais celle-ci se démarque encore en matière de musique vocale francophone. Cela dit, tout ce beau monde court après les mêmes sources de revenus, qu’ils soient d’origine commerciale ou publique ; il est de plus en plus difficile d’opérer dans un marché aussi compétitif.

 

À l’interne, certains producteurs sont de moins en moins d’accord avec le virage culturel, et surtout, avec le virage commercial de la station. Un virage commercial modeste toutefois, car les revenus publicitaires n’ont tout de même pas l’importance qu’on veut bien leur donner. Il faut savoir que des revenus publicitaires de plus de 250 000 $ sont monnaie courante pour des radios communautaires hors des grands centres urbains. En cela comme en toutes choses, il faut relativiser. Malgré tout, les conflits s’enveniment entre les producteurs et le Conseil d’administration. Des changements s’opèrent à la direction de la station et la situation dégénère, notamment sur le plan financier.

 

 

Un avenir incertain

 

En 2002, une analyse stratégique et un plan d’action sont adoptés, mais la situation ne tourne pas aussi bien que prévu. Malgré un plan de relance, CIBL est aujourd’hui dans une impasse, double, dirions-nous : une impasse idéologique quant au contenu devant être proposé à la communauté francophone de Montréal et une impasse financière. Cette dernière est très sérieuse. Des rumeurs inquiétantes quant à l’avenir de la station se font entendre. La communauté, de même que les membres de la station, devront unir leurs forces pour tenter de rétablir une situation qui risque d’en arriver à un point de non-retour. Pour le moment, l’unité au sein des instances de la station reste à construire.

 

La disparition de CIBL FM, la radio libre, la radio communautaire francophone de Montréal, serait une perte pour la communauté montréalaise et pour la radiophonie en général. Espérons que les amoureux de la radio, membres ou non de CIBL, sauront trouver les moyens et l’énergie afin de poursuivre l’aventure d’une des plus belles entreprises de la radiophonie communautaire québécoise.

 

Longue vie à CIBL !

 

 


 
Histoire de la radio communautaire et universitaire à Montréal
Pionniers de la radio communautaire

Radio communautaire montréalaise (origines et développement)

Introduction

En quelques mots... (citations)

Émissions et intervenants mémorables

Radio Centre-Ville CINQ une radio multiethnique

CIBL une radio francophone et  alternative

Information locale et communautaire Prise de parole des groupes populaires

Militantisme

Spécificité de la radio urbaine (vie urbaine et lien social)

Promotion du contenu francophone et de la  diversité culturelle Sources

Chronologie

Radio universitaire

 

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Mise à jour le 7 juillet 2004

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