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Historique de la radio communautaire

Émissions et intervenants mémorables

  par Roger Fritz Rhéaume

 



 

Émissions et intervenants mémorables

 

Qu’il s’agisse de Radio Centre-Ville ou de CIBL FM, chacune de ces deux stations renferme son lot de perles radiophoniques et pour rendre véritablement justice au travail de tous ses artisans, il aurait fallu un livre complet. Nous avons néanmoins procédé au périlleux exercice de ne retenir que sept séries ou blocs d’émissions. Trois sont ou furent produites par CINQ FM, trois par CIBL FM et enfin, une dernière qui est diffusée sur les ondes des deux radios. Toutes ces créations ont suscité un impact tel que l’on peut affirmer sans hésiter qu’elles ont marqué, chacune à leur façon, l’histoire des radios communautaires.

 

Vous remarquerez sans doute que nous avons fait un choix d’émissions à caractère culturel, à l’exception d’une seule. Non pas que les émissions à caractère sociocommunautaire étaient de mauvaise qualité mais leur format, le plus souvent de type magazine, fait en sorte que le contenu change constamment et qu’ainsi il est difficile de discriminer une émission en particulier. Pour l’auditoire, l’intérêt de telles émissions pouvait varier d’une diffusion à l’autre, alors que pour certaines émissions à caractère culturel, un fan-club pouvait plus facilement se créer. Ce fut le cas des émissions dont il est question dans ce texte.

 

 

« La Ligue nationale d’improvisation » (Radio Centre-Ville)

 

Au tournant des années 1980, Radio Centre-Ville diffusait en direct du Vieux-Montréal, les matches que se livraient les équipes montréalaises de l’époque. L’expérience a duré près de quatre ans. Benoit Fauteux, acteur de la scène culturelle alternative de Montréal, était aux commandes de l’émission. Les conditions de diffusion étaient, de son propre aveu, quelque peu artisanales :

 

« Kevin Cohalan, l’un des pionniers de la station, m’avait fabriqué un wok en forme de bol et un micro que l’on plaçait au-dessus de la tête des comédiens, soit au-dessus de la patinoire. On s’était construit une toute petite cabane dans les estrades. C’est là qu’un comédien faisait la description et réalisait des entrevues avec les joueurs entre chaque manche. On avait également installé un grand câble pour capter des entrevues sur la piste. J’assumais la réalisation de l’émission et il m’est arrivé de présenter le début de l’émission, un peu comme le faisait jadis Jean-Maurice Bailly à La Soirée du Hockey. »

 

La diffusion de l’émission a commencé quelques années après le début de la création de la Ligue nationale d’improvisation (LNI). À l’époque, le médium radio se prêtait bien à l’expérience, mieux que la télévision puisque l’on n’était pas obligé de couper, de monter ou de réduire le temps. Les organisateurs de la LNI ne voulaient pas se prêter à ce genre de contrôle.

 

La LNI était issue en partie du Grand Cirque Ordinaire puisque environ la moitié de ses comédiens avaient joint ses rangs. Depuis le début, un débat persistait au sein du Grand Cirque, alors considérée comme LA troupe de théâtre improvisé au Québec. Certains anciens du Grand Cirque mettaient en cause la pertinence de la LNI. Ainsi, au cours des émissions, des invités venaient débattre de cette problématique en ondes, tout en commentant les performances des comédiens.

 

Un autre sujet qui suscitait de l’intérêt était l’espace dévolu aux femmes dans les improvisations. Des comédiennes, tout comme certaines spectatrices, estimaient que les boys prenaient trop de place. Comme le dit Benoit Fauteux : « Nous vivions donc le féminisme dans un contexte complètement nouveau, celui de l’improvisation. » Il est vrai qu’en général les femmes ne s’affrontaient pas de façon aussi rude que leurs collègues masculins.

 

L’émission a fourni des moments mémorables à ceux et à celles qui ont eu le courage d’en faire l’écoute à des heures souvent tardives, car au début, l’émission était diffusé autour de minuit. Au cours des ans, les auditeurs ont appris à connaître les règles de ce sport bien de chez nous et à découvrir le talent de comédiens tels Claude Laroche, Pierre Curzi, Sylvie Legault et Michel Rivard, un «jeune joueur» arrivé sur le tard.

 

Il aura fallu un certain culot à des gens comme Benoit Fauteux et ses comparses pour se lancer dans une telle expérience. Le théâtre à la radio était chose rare et puis souvenez-vous, il y avait aussi à la LNI des improvisations sans parole, ce qui constitue tout un défi en termes de diffusion radiophonique.

 

 

« Au cœur du samedi soir » (Radio Centre-Ville)

 

Les plus anciens auditeurs de Radio Centre-Ville se rappellent des fameux samedis animés par Benoît Fauteux, Daniel Buisson et Dominique Langevin. Cette émission a révolutionné les ondes radiophoniques montréalaises à la fin des années 1970 avec une formule de création "Radio Art" avant la lettre. Si le concept existait aux États-Unis, personne ne le connaissait encore ici.

 

« Lorsque nous avons démarré, la radio était à cours d’effectifs, se rappelle Fauteux. Nous avons donc proposé aux gens de la radio de prendre en charge toute la programmation du samedi soir à partir de 18 heures. C’est comme si tout à coup, la programmation devenait décentralisée. Au début de la soirée, Dominique Langevin proposait plusieurs entrevues avec des gens qui partageaient sa vision du monde puis, plus la soirée avançait, plus on explorait une nouvelle forme de radio.»

 

Daniel Buisson possédait une magnifique collection de disques introuvables à Montréal qu’il trouvait le plus souvent à New York ; il s’agissait le plus souvent de musique contemporaine ou expérimentale. Il diffusait tous les styles de musique, faisait de la recherche et écrivait des textes quelquefois décapants à chacune de ses émissions. Tout cela se terminait par une improvisation de bruits divers. L’expérimentation était au rendez-vous chaque samedi soir. Il arrivait même que la diffusion se fasse simultanément à partir de deux studios, chaque animateur-réalisateur utilisant deux magnétophones, deux tables tournantes et toutes autres sources susceptibles d’être utilisées.

 

À l’occasion, les animateurs réalisaient des entrevues téléphoniques avec des personnages nocturnes et quelque peu bizarres. Certaines émissions étaient diffusées jusqu’aux petites heures du matin en direct de lieux culturels comme La Grande Passe sur la rue Ontario, avec des musiciens comme René Lussier ou Pierre St-Jak. Avec les années, l’émission s’est déplacée de plus en plus tard dans la nuit et à la suite du décès accidentel de Daniel Buisson, Benoit Fauteux, cet infatigable militant et iconoclaste communicateur, a poursuivi pendant plusieurs décades son périple dans la radiophonie.

 

 

Le Jazz à CINQ FM

 

S’il est un style associé à la programmation francophone de Radio Centre-Ville, c’est bien le jazz. « On était des pionniers, fait remarquer Kevin Cohalan, on trouvait que le jazz était sous-diffusé et dès le début, on en présentait à tous les après-midi. On a rapidement développé un auditoire. Avec d’autres, on a contribué à notre façon au développement d’un mouvement qui a pris de l’importance et qui, avec les années, a annoncé le Festival de Jazz. L’un n’est pas le résultat de l’autre, c’était dans l’air du temps ».

 

L’aventure du jazz en après-midi s’est poursuivie jusqu’en 2001. Selon Jean-Louis Legault, un des pionniers du projet, plus de soixante-quinze personnes ont animé les émissions de jazz. De 1982 à 1984, Radio Centre-Ville était même devenu la voix du Jazz pendant la tenue du Festival international de jazz de Montréal. La collaboration a atteint son point culminant en 1983 alors que la station a produit près d’une centaine d’heures d’émissions durant l’imposant événement.

 

Sous le signe de l’éclectisme, la programmation de jazz à Radio Centre-Ville a reflété tous les courants. Si au début on apprenait à connaître les musiciens en les diffusant, des producteurs spécialisés sont rapidement apparus et ont présenté du jazz de tous les styles: du blues à la musique actuelle, en passant par le mainstream accessible, le swing des big bands, l’afro-américain plus "sale", les formations de jazz locales, etc. Toute l’histoire du genre y est passée.

 

Il serait fastidieux d’énumérer l’ensemble des producteurs qui ont fait de ce bloc d’après-midi, l’un des plus riches qui soit. Mentionnons tout de même Daniel Buisson, Éric Loiseau, Serge Truffaut (Le Devoir), Linda Tremblay, Adolphe Parillon, Andrew Amsy, John Gilmore, Robert Gélinas, Ivanhoe Jolicoeur, Patrick Straham dit Le Bison Ravi, Dan Nosworthy, Mike Tomasek, Paul Stewart, Stéphane Wolfe, Hélène Mathieu, Michel Ditorré, Pierre «cool» Gagné, Marc Chénard et Jacques Gravel. Tous ces gens ont brillamment façonné ce projet historique.

 

Ces personnes auront contribué par leur passion à faire de la station une incontournable en matière de jazz. Il faut aussi mentionner que dès son entrée en ondes, CIBL FM diffusait des émissions de jazz et de blues et ainsi, apportait sa contribution à l’univers radiophonique jazz de Montréal.

 

 

« Rock et Belles Oreilles » (CIBL FM)

 

Avec leur mordant, ils ont incarné toute une génération de l’humour québécois. Lauréats de 11 trophées Félix et de 21 prix Gémeaux, ils ont sévi aussi bien à CKOI FM qu’à Radio Mutuel et ils sont devenus les animateurs les plus écoutés du Québec en 1992-93. La Grande Liquidation du Temps des Fêtes qu’ils ont réalisée à Télévision Quatre Saisons avait détrôné à la fin de l’année 1987, l’incontournable Bye Bye de Radio-Canada. Plus tard, sur les ondes de Radio-Canada, nos joyeux lurons ont rejoint jusqu’à un million d’auditeurs avec leurs émissions hebdomadaires.

 

Mais la légende débute à CIBL en 1981 alors que Guy "A" Lepage et Richard "Z" Sirois créent Le rock de A à Z , une émission musicale au sein de laquelle ils intègrent des gags. Pour ce faire, ils invitent une pléiade d’amis dont certains, comme Bruno E. Landry, Yves P. Pelletier et André G. Ducharme, finiront par demeurer au sein de l’équipe. Avec l’addition de Chantal Francke, le noyau de RBO était formé.

 

À chaque vendredi soir, l’équipe de RBO et leurs fans prenaient littéralement possession de la station, certains oeuvrant à la discothèque, d’autres en studio. Selon Jacques K. Primeau, alors directeur de la promotion de CIBL et qui allait devenir le gérant du groupe tout au long de son existence, des auditeurs, particulièrement friands des gags et incongruités de l’équipe, se déplaçaient en auto pour pouvoir capter la station qui émettait alors à seize watts. « On dit même que certaines odeurs d’origine illicite contribuaient à la douce folie que suscitait ces émissions», raconte avec un sourire Jacques Primeau.

 

Le succès de l’émission ne faisait pas de doute, quoique la direction de la station ait eu à éteindre quelques feux. Certains annonceurs ne prisaient guère l’humour de nos humoristes, dès lors que ceux-ci jetaient leur dévolu sur les messages publicitaires diffusés par la station.

 

La deuxième année, le phénomène RBO a pris de l’ampleur. Les premiers spectacles se sont ajoutés aux émissions. Au sujet de leur performance au Salon de la Jeunesse en première partie du groupe Offenbach, Bob De Board de CKOI FM a dit à l’époque qu’il s’agissait du plus mauvais spectacle de l’histoire du rock québécois. Heureusement, l’histoire allait donner raison à RBO.

 

Voilà une émission qui aura fait date dans les annales de la radio montréalaise et même québécoise. Quelle station commerciale aujourd’hui n’a pas son émission à caractère humoristique? C’est l’exception, non ?

 

 

« Virgule 5 » (CIBL FM)

 

En 1988, après que CIBL eut redéfini les paramètres de son intervention culturelle, Bertrand Roux allait mettre sur pied Virgule 5, un magazine culturel d’impact pendant la période du retour à la maison. Les chaussures étaient grandes à porter puisque les Alain Brunet (La Presse), Luc Tremblay (CKOI FM), François Martel, Jean-François Brassard et Isabelle Guilbault avaient auparavant placé la barre bien haute. Roux allait néanmoins tenir le fort jusqu’en 1992 après avoir réalisé plus de mille deux cents émissions.

 

« J’étais au cœur du Plateau qui bougeait , commente l’animateur. À ses débuts, le magazine Voir avait créé un engouement extraordinaire, mais il nous a fallu un certain temps avant de sauter dans le train. Nous devions réagir et nous l’avons fait en mettant sur pied des équipes qui pouvaient atteindre jusqu’à vingt-cinq collaborateurs recrutés au sein de toutes les sphères de l’activité culturelle. Nous couvrions toutes les disciplines, de la danse aux arts visuels en passant par l’architecture, la géopolitique, le cinéma et la musique. Nous pouvions nous permettre le luxe d’avoir des chroniqueurs différents pour le pop, le jazz, le blues, la musique actuelle et j’en passe. Nous pouvions même créer des personnages comme ce fut le cas avec Sylvain Lafrenière, «le Capitaine Rock» pour ne nommer que ce surnom-là», renchérit-il.

 

Virgule 5 suivait souvent l’événement là où il se produisait. L’émission a été diffusée tout un été en direct du site d’une piscine municipale et fut l’une des premières à utiliser les locaux du Musée d’art contemporain à des fins de diffusion. Au Festival de musique actuelle de Victoriaville, l’équipe de production diffusait à partir du studio d’une station locale. Mais, au dire de Bertrand Roux, l’endroit le plus bizarre à partir duquel une émission a été réalisée fut dans une cage de verre aux Foufounes électriques. « À cet endroit, nous devions nous protéger de la faune environnante », se souvient Roux, encore amusé par l’incident.

 

 

La chanson francophone du dimanche à CIBL FM

 

À la fin de l'été 1984, Yvon Lebeau, Diane Payette et Lise Robichaud présentent au comité de programmation de CIBL, un projet d’émissions de chansons d’expression française tous azimuts. L’horaire proposé : le dimanche matin. Si le comité accepte d’emblée l’idée d’une émission de chansons, des réticences apparaissent quant au créneau horaire. Suite à la descente aux enfers postréférendaire de 1980, allait-on générer suffisamment d’intérêt justifiant le choix du dimanche matin, pour une émission axée exclusivement sur la chanson francophone?

 

La suite est connue. Plus de dix-huit ans après, le créneau existe encore et l’émission a fini par symboliser une intention politique nouvelle de la part de la station, à savoir la mise en valeur de son caractère francophone. Plusieurs animateurs de grand talent y sont passés : Vincent Legault, Nicole Asselin, puis Monique Giroux (qui anime aujourd’hui à Radio-Canada) en alternance d’abord avec Diane Payette et ensuite avec Isabelle Tanguay; ces deux dernières ont obtenu de mémorables succès lors des premiers radiothons diffusés par la station sur toute la ville de Montréal au début des années 1990.

 

D’autres, comme Daniel D. Dubois, Jean Bélanger, Emmanuelle Beaulieu et Louise Éthier, ont marqué l’émission qui a poursuivi son mandat de diffusion de la chanson d’expression francophone de facture plus classique, jusqu’à ce que Serge Poirier ne prenne la relève en 1999 avec Café Saint-Vincent, une série qui prône une approche "pure et dure" de la chanson québécoise, en favorisant la chanson à textes aussi bien que le développement des nouveaux talents. Poirier réalise l’émission en collaboration avec Photi Sotiropoulos et on a également pu y entendre à l’occasion des animateurs de calibre comme François Martel et Benoît LeBlanc.

 

 

Mention spéciale : Les Souverains anonymes

 

Cette courte liste d’émissions mémorables ne serait pas complète sans une série d’émissions à caractère social. Nous avons donc décidé d’accorder une mention spéciale à cette émission qui, quoique produite à l’extérieur par Mohamed Lotfi, est diffusée sur les ondes des deux stations montréalaises. Depuis 1990, l’émission s’est signalée non seulement par son contenu d’une acuité déconcertante mais aussi par l’originalité et la forte présence de sa direction artistique.

 

Qui n’a pas entendu parler de ce projet qui donne la parole aux détenus de la prison de Bordeaux qui reçoivent en entrevue des invités de tous les horizons. Des milliers de "souverains" ont posé des milliers de questions à des centaines d’invités que l’on découvre sous des facettes inédites. Rares sont les exemples d’une radio engagée qui accorde une telle importance autant au contenu qu’au format. Les questions une fois posées, la parole est, lors du montage, reconstruite et livrée telle quelle et dans le plus grand respect. Tout un univers imaginé à partir d’une seule question : qu’est-ce qu’un détenu peut dire devant un micro de radio ? Et nous pourrions ajouter : qu’est-ce qu’un invité de l’extérieur, du monde libre, a à dire à des détenus ?

 

Le projet des Souverains anonymes dépasse le cadre d’une simple émission de radio. Mohamed Lotfi a réalisé des émissions à la télévision communautaire, un concours de chansons et de poésie qui a permis l’engendrement de cinq cents textes, le disque Libre à vous enregistré à Bordeaux avec les textes des «souverains» et enfin, un site Internet (www.souverains.qc.ca). Que nous réserve l’expérience dans l’avenir ? Parions que le producteur trouvera encore de nouvelles avenues pour continuer de rendre la parole plus large et plus accessible.

 

Remerciements à ceux et celles qui ont contribué à enrichir ce texte :

Paul Beauséjour, Maurice Bolduc, Kevin Cohalan, Benoît Fauteux, Monique Giroux, Hyman Glustein, Jean-Louis Legault, la LNI, Serge Poirier, Jacques Primeau, Bertrand Roux, Isabelle Tanguay et Sylvie Tétrault

 

 


 
Histoire de la radio communautaire et universitaire à Montréal
Pionniers de la radio communautaire

Radio communautaire montréalaise (origines et développement)

Introduction

En quelques mots... (citations)

Émissions et intervenants mémorables

Radio Centre-Ville CINQ une radio multiethnique

CIBL une radio francophone et  alternative

Information locale et communautaire Prise de parole des groupes populaires

Militantisme

Spécificité de la radio urbaine (vie urbaine et lien social)

Promotion du contenu francophone et de la  diversité culturelle Sources

Chronologie

Radio universitaire

 

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Mise à jour le 7 juillet 2004

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