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Historique de la radio communautaire

Radio Centre-Ville (CINQ), 

une radio multiethnique

  par Roger Fritz Rhéaume

 


 


 

La radio communautaire montréalaise (2)

 

L’arrivée d’une radio communautaire multiethnique

 

Un peu de lobbying dans le quartier Saint-Louis

En 1972, un groupe de citoyens originaires de Montréal rencontraient des représentants du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC); le groupe était composé d’animateurs sociaux et de spécialistes des médias. Le projet, financé entre autres par des fonds provenant de la Compagnie des Jeunes Canadiens, du ministère fédéral de la Main-d’œuvre et de l’Immigration et du ministère de l’Éducation du Québec, concernait la mise sur pied d’une modeste (sic) station de radio communautaire dans le quartier Saint-Louis, au centre-ville de Montréal.

 

Les promoteurs estimaient qu’il était possible d’initier, grâce à l’apport de professionnels de l’Office national du film et de Radio-Canada, des résidents à la production d’émissions sur la vie et les événements de leur propre quartier. Selon les promoteurs, les grandes stations hésitaient à couvrir des sujets qui ne sont pas d’intérêt général. De plus, les stations commerciales (tout comme la radio d’État) n’étaient pas intéressées à diffuser des points de vue minoritaires, et disons-le, de nature sociale, voire socialiste. D’autre part, le quartier étant multiculturel, il allait de soi que la station se devait de diffuser en plusieurs langues pour desservir les résidents francophones, portugais, helléniques, hispaniques et juifs.

 

Ce constat était fait par Hyman Glustein, l’un des membres du groupe et pionnier de la radio communautaire à Montréal, constat lapidaire qui donne néanmoins l’heure juste sur l’état d’esprit des tenants de la radio communautaire et non commerciale :

 

« La radio communautaire est une alternative nécessaire à cause de la façon dont fonctionne actuellement la radio. La responsabilité d’un tel état de fait incombe au gouvernement fédéral, via le Bureau des gouverneurs et le CRTC 1. Ces organismes n’ont jamais rien fait pour s’assurer que la communauté puisse avoir accès aux médias, qu’elle puisse y participer activement, que les auditeurs soient les vrais responsables de la diffusion. En réalité, tout ce qu’ils ont fait a été d’octroyer des licences à des millionnaires, de les laisser diriger leur petite affaire, diffuser leur publicité, soutirer tout ce qu’ils peuvent du public. C’est la responsabilité du CRTC de contrôler les stations sous un angle commercial, non ce qui est dit sur les ondes, mais tout au moins en proposant certaines structures permettant un choix à l’intérieur du système. Il appert maintenant que le CRTC n’est pas préparé à remplir un tel rôle et il est évident qu’il devrait se disposer à répondre aux points suivants : rendre immédiatement les canaux accessibles à toute la communauté, faire en sorte que l’équipement soit disponible afin que les centres de diffusion communautaires puissent fonctionner et, enfin, maintenir ces centres en opération grâce à des subventions. »

 

Le CRTC a rendu accessibles des canaux de diffusion, mais n’a, bien entendu, jamais joué aucun rôle dans le financement des radios communautaires. Finalement, ce sont les communautés elles-mêmes et le gouvernement québécois, par le biais d’un programme d’aide, qui ont contribué au développement de la radiodiffusion communautaire.

 

 

Les premiers pas

 

Une subvention fédérale, octroyée dans le cadre d’un programme d’emploi, rendit possible la production de bandes audio, mais aucune station radiophonique, même étatique, n’accepta de diffuser ces bandes. À la suite de son incorporation en 1972, Radio Centre-Ville tenta une expérience non concluante avec la radio étudiante de l’Université McGill, puis une autre tentative de diffusion nocturne avec une petite station commerciale qui se révéla également infructueuse. En octobre 1973, après quelques activités de lobbying, dont celle mentionnée auparavant, Radio Centre-Ville Saint-Louis soumet une demande de licence au CRTC et reçoit en 1974 un permis d’exploitation.

 

Le 28 janvier 1975 marque l’entrée en ondes de Radio Centre-Ville Saint-Louis. Malgré l’arrivée de CKRL à Québec un an plus tôt, le CRTC indique clairement dans le texte de sa décision que « c’est la première fois que le Conseil approuve une demande de licence de radiodiffusion FM en vue de desservir une communauté locale distincte située à l’intérieur d’une agglomération urbaine. » Déjà, la station diffuse en cinq langues, soit en français, en anglais, en portugais, en espagnol et en grec. Sa puissance de diffusion est minime, soit 7,2 watts.

 

D’ailleurs, l’une des conditions de licence posée par le CRTC se lisait ainsi :

 

« Radio Centre-Ville Saint-Louis (le quartier d’origine) est une radio communautaire francophone urbaine…, exploitant une licence qui lui permet de diffuser jusqu’à 40 % de sa programmation dans des langues autres que le français et l’anglais. »

 

La première radio communautaire multiethnique au Canada était née.

 

 

La déclaration de principes

 

Ce document, datant de 1978, doit être considéré comme un des textes phares de la station. Ce texte a marqué l’évolution de la station et est toujours une référence, sinon, la référence, pour tout ce qui concerne la programmation, le fonctionnement et la philosophie d’intervention de CINQ FM. (J’en parle avec quelque émotion, car j’ai à titre de membre et d’employé permanent de la station, collaboré à sa rédaction).

D’entrée de jeu, un principe clé est consacré : la station veut privilégier l’accès aux ondes à « ceux qui sont défavorisés par rapport aux autres médias ». On poursuit dans ce qui doit être considéré comme le credo de l’organisation en matière de radiodiffusion multiethnique :

 

« Radio Centre-Ville entend respecter l’hétérogénéité de la communauté et, ce dans un esprit d’impartialité. En principe, le droit à la programmation des minorités sera respecté autant que celui de la majorité. CINQ FM étant un outil de communication communautaire, les groupes ethniques pourront donc s’exprimer dans leurs langues. Le développement des relations et le dialogue entre différents groupes ethniques et linguistiques seront encouragés dans le but d’une compréhension mutuelle. En somme, nous travaillerons à la création des conditions objectives pour assurer la participation active des immigrants-tes dans la société québécoise. »

 

Un autre élément majeur était mentionné, à savoir que « la population du centre-ville sera mieux servie en s’assurant de sa participation active aux émissions. Radio Centre-Ville va donc privilégier la participation des auditeurs par divers moyens. » Parmi les moyens mentionnés, citons, entre autres, l’accès aux ondes, l’apprentissage de la production d’émissions, l’encouragement à développer des approches innovatrices en matière de radiodiffusion. On mentionne aussi l’importance de produire des émissions développant l’esprit critique, plutôt que la conformité.

 

Enfin, il est stipulé que la station restera indépendante et n’appuiera aucun parti, secte ou doctrine, et réfutera tout dogme. Sur le plan journalistique, on a la volonté de travailler en ayant à l’esprit un principe de journalisme démocratique. Ajoutons que la condition pour devenir membre de la station est d’accepter la déclaration de principes.

 

 

Chanson-Thème

 

En 1978, les artistes Louise Forestier et Pierre Flynn composent en l’honneur de la station une chanson intitulée Radio Centre-Ville.

 

 

 

L’exception multiculturelle

 

Peu de temps après son entrée en ondes, Radio Centre-Ville Saint-Louis diffusait en sept langues, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Sept groupes ethniques s’y côtoient quotidiennement pour réaliser des émissions et vivre une expérience qui va bien au-delà de la radiodiffusion. En effet, plus qu’une expérience radiophonique, c’est d’un projet collectif qu’il s’agit, un projet collectif communautaire et interculturel.

 

Les groupes ethniques suivants sont parties prenantes de l’aventure: francophone, anglophone, hispanique (mais plus particulièrement latino-américain), portugais, hellénique, haïtien et chinois. Ces groupes forment des équipes de production. La station bénéficie également de la participation active de la communauté asiatique (du Sud-Est), philippine, africaine, irlandaise et arabe. Ainsi, plus de 40 communautés bénéficient aujourd’hui des services de Radio Centre-Ville.

 

Les émissions offertes aux communautés culturelles sont consacrées aux activités interculturelles et communautaires, aux nouvelles en provenance des pays d’origine, et bien sûr, aux informations permettant aux membres des communautés de s’intégrer dans leur nouvelle société d’adoption. La diffusion d’émissions portant sur les élections en pays étrangers attire beaucoup d’auditeurs. Chacune des équipes de production est en mesure de joindre des correspondants sur le terrain pour prendre le pouls de la situation. On comprendra que, dans certains cas, ces journalistes bénévoles aient à prendre des risques (à titre d’exemples, les élections en Haïti ne sont pas toujours de tout repos). Ainsi, nous pouvons affirmer qu’en matière d’information, les communautés culturelles desservies par la station jouissent, dans une certaine mesure, du meilleur des deux mondes : une information du pays d’origine et une du pays d’adoption.

 

Grosso modo, le temps imparti aux émissions des différentes communautés se partagent ainsi : 67 heures de diffusion en français, 11,5 heures de diffusion en anglais ; quant au contenu en d’autres langues, il y a 13 heures de diffusion en espagnol et en portugais, 12,5 heures en grec, 6 heures en créole (Haïti) et 5 heures en chinois, soit en mandarin et en cantonnais.

 

La structure de participation

 

Nous vous faisons grâce des détails de la structure administrative de l’organisation, mais il importe toutefois de bien connaître la structure de production puisqu’elle reflète la volonté de la station de donner une certaine autonomie aux équipes ethniques en regard des services de programmation offerts à la collectivité montréalaise et multiculturelle.

 

Plus de trois cent bénévoles gravitent autour des micros de la station au cours d’une même semaine. La participation s’articule autour de sept équipes de production autonomes. Les équipes de production sont des comités de travail à qui la station délègue des tâches et des responsabilités relativement à la mise en place de la programmation et au financement de la station. Le fonctionnement des équipes de production est déterminé en bonne partie par les membres actifs.

 

L’une des tâches importantes des équipes de production est de « répartir le temps d’antenne entre les bénévoles affectés à la production des émissions offertes dans une des langues de diffusion de la station ». Ainsi, les membres des communautés culturelles ont-ils une marge de manœuvre pour déterminer quels services, quelles émissions, seront plus à même de répondre aux besoins de la communauté.

 

Bien entendu, il s’agit là d’une structure complexe qui, à l’occasion, verra surgir des conflits tant à l’intérieur des équipes (il faut s’entendre sur la détermination des besoins des communautés) qu’entre les équipes, car tous n’ont pas les mêmes approches. Là est en bonne partie le défi de l’organisation. Un défi double, celui de faire fonctionner la « machine » et le défi de faire se côtoyer des cultures différentes.

 

Le défi de l’interculturalisme

 

Faire fonctionner de façon harmonieuse une organisation communautaire, que ce soit une radio ou non, demeure un défi constant. En ce qui concerne Radio Centre-Ville, c’est une organisation mettant en présence des cultures et des approches fort différentes; son fonctionnement représente tout un défi. Ce défi, la station l’a constamment relevé, parfois avec difficulté, mais avec succès, le plus souvent.

 

Le gouvernement du Québec l’a d’ailleurs reconnu de façon explicite en 1991 ; cette année-là, Radio Centre-Ville recevait le  Prix des communautés culturelles,  en raison de son excellent travail auprès des communautés culturelles de l’Île de Montréal.

 

Comme l’exprimait l’un des pionniers de la station, Evan Kapetanakis, au sujet de toutes ces années passées à faire de la station un lien entre toutes ces communautés culturelles qui font de Montréal une ville cosmopolite :

 

«Des gens, venant des quatre coins du monde, ont pu s’asseoir ensemble, discuter et engager des débats, et (…) ont été capables de faire avancer les choses; ils ont influencé, et, par le fait même, aidé des milliers de gens

  • à comprendre le fonctionnement de la société dans laquelle nous vivons,

  • à s’apercevoir que malgré nos différences, dans les faits nous sommes très proches les uns des autres et que nous pouvons vivre harmonieusement et contribuer, tous, à notre façon, à la société. »

 

Ce qui distingue cette station encore aujourd’hui est le fait que l’interculturalisme et la démocratie demeurent au centre de ses actions. Comme le soulignait Arlindo Vieira, du Conseil des communautés culturelles et de l’immigration, lors du Colloque d’orientation de Radio Centre-Ville en 1996 :

 

« Radio Centre-Ville doit demeurer un lieu de socialisation qui vise l’implication et l’intégration à la vie civique locale de tous les citoyens, au-delà de leurs cultures, de leurs langues ou de leurs appartenances particulières. »

 

N’est-ce pas une grande partie de la mission d’une radio communautaire multiethnique, et dirions-nous, d’une radio communautaire tout court ?

 

Une radio qui donne l’exemple

 

Bien que nous devions considérer Radio Centre-Ville comme étant la radio multiethnique de Montréal (puisqu’elle est la seule reconnue comme telle par la Conseil de radiodiffusion et des télécommunications du Canada), il n’en demeure pas moins que son exemple a été suivi par d’autres stations communautaires ou non commerciales, comme les radios universitaires CISM (Université de Montréal) et CKUT (Université McGill).

Dès le début de 1980, CIBL FM diffusait, et diffuse toujours, de ses studios d’Hochelaga Maisonneuve, des émissions à l’intention de la communauté haïtienne de Montréal. Pour sa part CKUT FM propose à son auditoire des émissions à l’intention de plusieurs communautés culturelles (palestinienne, juive, coréenne, musulmane, latino-américaine et des Caraïbes). À CISM FM, des émissions sont produites et sont destinées aux membres de la communauté haïtienne, africaine et du Moyen-Orient.

 

De plus, des stations communautaires à l’extérieur de Montréal ont aussi développé une sensibilité envers le phénomène interculturel. À titre d’exemple, CHAA FM, sur la Rive-Sud de Montréal, diffuse des émissions pour les membres de la communauté grecque, polonaise et vietnamienne.

 

Toutes ces stations ont, à l’instar de Radio Centre-Ville, reconnu l’importance de refléter leur milieu dans toute sa diversité culturelle.

 

 

Radio Centre-Ville - Quelques points d’histoire

 

1970 

Démarrage du projet de radio communautaire

1973 

Présentation d’une demande de licence au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada

1974 

Attribution d’une licence de radiodiffusion à Radio Centre-Ville Saint-Louis

1976 

Attribution d’une nouvelle fréquence sur la bande FM, soit le 102,3

1982 

Déménagement dans ses locaux actuels, au 5212, boulevard Saint-Laurent

1986 

Attribution par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada d’une augmentation de puissance (50 watts)

1991 

Attribution par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada d’une nouvelle augmentation de puissance (1 300 watts)

Prix des communautés culturelles du gouvernement du Québec

1999 

Le programme hellénique de Radio Centre-Ville gagne le prix Média 1998 décerné aux médias de la diaspora par le ministère Grec de la Presse et des Médias

 


 

 

(1) Bureau des gouverneurs, ancêtre du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC).

 

 


 
Histoire de la radio communautaire et universitaire à Montréal
Pionniers de la radio communautaire

Radio communautaire montréalaise (origines et développement)

Introduction

En quelques mots... (citations)

Émissions et intervenants mémorables

Radio Centre-Ville CINQ une radio multiethnique

CIBL une radio francophone et  alternative

Information locale et communautaire Prise de parole des groupes populaires

Militantisme

Spécificité de la radio urbaine (vie urbaine et lien social)

Promotion du contenu francophone et de la  diversité culturelle Sources

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Mise à jour le 7 juin 2004

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