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Historique de la radio communautaire

Pionniers

  par Roger Fritz Rhéaume  

 



 

LES RADIOS COMMUNAUTAIRES DE MONTRÉAL VUES PAR LES PIONNIERS 

Dans cette section, nous présentons les témoignages de neuf pionniers de la radio communautaire montréalaise. La grande majorité de ceux-ci ont consacré au moins une décennie à leur passion alors que deux d’entre eux sont les initiateurs de leur radio respective. À chacun, nous avons demandé de situer leurs objectifs de départ et d’évaluer comment ils ont évolués au fil du temps.

 

Radio Centre-Ville (CINQ FM), la radio multiethnique de Montréal

Au tout début des années 1970, le projet de radio communautaire multiethnique a émergé au sein d’un groupe d’amis à la suite d’une idée d’Hyman Glustein. Il n’y avait ni modèle, ni expertise. L’objectif était de créer une station à faible puissance devant desservir le quartier Saint-Louis, d’où le nom : Radio Centre-Ville Saint-Louis. On voulait créer une station qui soit à la fois francophone et qui accorderait une place aux langues les plus présentes dans le quartier, soit le grec, le portugais et l’espagnol. Quelques années plus tard allaient s’ajouter des émissions haïtiennes et chinoises.

 

« On voulait d’abord communiquer un type d’information auquel les gens n’avaient pas accès, explique Suzanne Perron, l’un des membres actifs de l’équipe de départ. On pouvait par exemple donner une voix à l’Association des locataires, au Centre des femmes du quartier. Qu’importe ce que nous faisions, nous étions les premiers à le faire. Aucun organisme communautaire n’était passé devant le CRTC ou n’avait mis en place une station de radio. »

 

Les membres de l’équipe de départ se sont vite rendu compte de la complexité de l’aventure. « Les francophones et les anglophones n’avaient pas besoin de représenter l’ensemble de leur communauté, mais ce n’était pas le cas des autres équipes », constate Hyman Glustein. Les réalités différaient tellement d’une équipe à l’autre. À titre d’exemple, l’information en français avait comme source L’Agence de presse libre du Québec, bien connue pour ses positions souverainistes, alors que le Liberation News Service était celle du service d’information en anglais. De leur coté, les Hispaniques proposaient une information politique en accord idéologiquement avec certains gouvernements de gauche (comme le Chili ou Cuba) alors que chez les Grecs, dont le pays était sous la coupe du régime dit des « Colonels », l’information devenait un geste de résistance.

 

Les producteurs de chaque communauté se regroupaient entre eux et chaque équipe avait tendance à devenir un univers en soi. « La communication entre les équipes laissait à désirer », explique Kevin Cohalan, un autre pionnier présent dès les débuts. Plus marquée par les valeurs de la contre-culture en français et anglais, la radio proposait une alternative politique dans les autres langues. Après une période de conflits, on a opté à la fin des années 1970 pour une position d’ouverture au pluralisme et de respect des divergences de points de vue.

 

Au début, la station était dirigée par six ou sept employés permanents qui réalisaient des émissions. Par la suite, des équipes de bénévoles se sont formées. À partir des années 1980, les membres du Conseil d’administration ont voulu rendre la station plus accessible à la communauté.

« Nous avons dégagé les permanents du travail de production de façon à ce qu’ils encadrent et supportent les bénévoles qui deviendraient dorénavant les producteurs, explique Mikhaïl Kapellas, qui fut président de Radio Centre-Ville à deux reprises. En plus, nous avons essayé d’établir dans chacune des équipes une organisation plus structurée avec des assemblées d’équipes et l’élection d’un comité de coordination dont le mandat était de coordonner, planifier et suivre les activités de son équipe. »

 

Sur le plan de l’information, une politique donne la priorité à l’information locale et à l’information internationale. Mais, selon Mikhaïl Kapellas, l’élément essentiel de cette politique « est de permettre non seulement aux auditeurs de voir ce qui se passe, mais de comprendre le pourquoi ». Evan Kapetanakis, l’actuel président du Conseil d'administration, réfléchit ici au concept de radio militante: « La radio communautaire ne doit pas être seulement informative et divertissante. Je trouve par exemple, qu’une partie de la programmation francophone n’est pas assez engagée socialement même si elle comporte son lot de perles. Cela s’explique sans doute par l’influence des autres stations. » 

 

Au dire de tous, le problème peut se régler par la formation. Au début des années 1980, on accordait beaucoup d’importance à la formation des employés permanents, mais la situation a évolué : « Nous voulons maintenant systématiser la formation des bénévoles dès leur arrivée. Nous leur expliquerons la particularité de notre station, sa différence avec les autres stations et même, avec les autres radios communautaires », explique Evan Kapetanakis.

 

Et qu’en est-il du regard que portent les pionniers sur l’évolution de la station ? « Aujourd’hui, je constate que la station représente une vraie communauté, affirme Hyman Glustein. Lorsque j’y étais, elle ne témoignait que des groupes minoritaires au sein de la communauté. Nous ne pouvions pas aller plus loin à l’époque. » De son coté, Mikhaïl Kapellas considère que la station a réalisé des progrès notoires, mais que l’objectif de base d’en faire une radio à part entière et non pas sept dans une, n’est pas encore atteint : « Ça prend beaucoup de temps avant que les barrières linguistiques ne tombent complètement. Mais j’ai bon espoir que nous y arrivions puisque les jeunes qui s’impliquent maintenant sont nés ici et parlent tous le français. Cela facilite la communication. »

 

« Si c’était à refaire, j’opterais pour une approche très structurée dès le départ, affirme Kevin Cohalan. Je favoriserais une vision plus cohérente de la programmation de même qu’une gestion plus directive. De cette façon, nous aurions sans doute réussi à susciter plus d’impact. À l’origine, nous voulions que la radio devienne un véhicule pour toute la population et non pas seulement pour les artistes, les penseurs et les philosophes du carré Saint-Louis. J’estime important que la radio ouvre encore ses portes à tout le monde. » 

 

De son coté, Suzanne Perron se demande si Radio Centre-Ville favorise encore un accès facile aux ondes pour les petits organismes : « Une Association de jeunes qui voudrait faire une série de six émissions pourrait-elle le faire », se demande-t-elle. Cela dit, elle estime que si l’objectif de base a changé, ce n’est pas bien grave, car on ne peut demander à la radio de rester en tout point semblable à ce qu’elle était au départ.

« Lorsque nous avons fondé la radio, je n’avais aucune idée de ce qu’il en resterait plus de trente ans après, raconte le fondateur Hyman Glustein. Au début des années 70, on assumait le fait que le Québec soit séparé du reste du Canada et on visait déjà ce que l’on appelait une philosophie postséparatiste. On se demandait alors de quelle façon tout le monde vivrait ensemble. Je pense que règle générale, notre expérience fut couronnée de succès parce les communautés pouvaient se définir elle-même en travaillant ensemble, nous avions défini très peu de règles. Un jour, un commissaire du CRTC m’a demandé de quelle façon faisions-nous pour savoir ce que l’on diffusait en grec. Je leur ai répondu que je faisais confiance à l’équipe. C’était l’approche que l’on avait. »

 

 

CIBL FM, la radio communautaire francophone de Montréal

 

L’aventure de CIBL a débuté en 1977 dans le cadre d’un cours de communication à l’Université du Québec à Montréal. Pierre Fortin réalisait alors une recherche sur la radiophonie communautaire. Avec le réseau Pacifica aux États-Unis et la poussée des radios libres en France, le phénomène était émergent au Québec. « L’idée était de faire en sorte que les citoyens s’approprient un outil de communication et qu’ils aient accès à la parole publique, explique Fortin. On parlait du perron d’église électronique pour qualifier la nouvelle radio. Le quartier regorgeait d’organismes communautaires et nous voulions créer un carrefour autogéré par la population et les groupes avec une structure vraiment démocratique et noyautée par aucun parti ou groupuscule. »

 

Le projet d’origine se limitait au quartier Hochelaga-Maisonneuve, ce qui explique que les premières lettres d’appel de la station furent CHRM (pour Radio Maisonneuve). Toutefois, on s’est vite rendu compte que, malgré les frontières traditionnelles du quartier, le sud de Rosemont et une partie du Centre-Sud avaient en commun un grand nombre de caractéristiques sociologiques et économiques. Jacques Primeau qui fut impliqué durant quinze ans, dont trois, à titre de président du Conseil d’administration renchérit : « Ce n’était pas une radio pour l’UQAM, ni pour les intellos, mais une radio populaire dans le contexte d’une époque au sein de laquelle on valorisait ce qui se passait dans les quartiers de Montréal. »

 

La station entre en ondes le 26 avril 1980. « Cela a sonné un réveil, se rappelle Pierre Fortin, car on s’attendait à ce que Monsieur et Madame Tout-le-monde viennent partager leurs goûts musicaux un peu comme les dames se rassemblaient pour partager leur intérêt pour le tricot au sein d’un atelier de couture. Mais dans les faits, la radio a séduit des gens plus scolarisés qui partageaient davantage un intérêt culturel. Le projet s’est vite transformé en une radio de services communautaires et de diffusion à caractère culturel plutôt qu’un perron d’église électronique. Sur le plan de l’information, on avait la volonté d’aller chercher la voix des résidents du quartier, leur avis de même que ceux des intervenants communautaires. »

 

Au début des années 1980, la station opte, à la suite d’un processus de consultation publique, pour un changement de cap. Elle proposera au CRTC d’élargir la diffusion à l’ensemble de la ville de Montréal. « J’ai cru à la Radio Communautaire de l’Est jusqu’à ce que je me rende compte qu’elle n’était pas viable financièrement, indique Jacques Primeau. On avait fait nos devoirs au niveau des quartiers de l’est. On pouvait donc, sans trahir les objectifs de départ, étendre cette façon de voir à l’ensemble des quartiers. Je pensais qu’on était des précurseurs et qu’on pouvait prendre notre place au niveau de l’information municipale aussi bien que de l’information culturelle. »

 

Yves Bernard, qui fut de l’aventure durant 22 ans, coordonnait la demande au CRTC. « Nous avions la ferme intention de marquer, voire de révolutionner l’histoire de la radio montréalaise. Nous étions en constante recherche d’un équilibre difficile à trouver entre radio locale et alternative, entre l’information sociale et l’information culturelle et entre un médium informatif et créatif. Nous voulions également faire changer la politique du CRTC à l’égard des radios communautaires urbaines puisque cette instance refusait de nous accorder une vocation municipale. Tout cela nous a valu d’être considéré comme une radio urbaine modèle par le CRTC et même d’aller chercher l’appui unanime de l’Assemblée nationale (Gouvernement du Québec) à notre projet. »

 

À la fin des années 1980, la station renforce son rôle de catalyseur de l’alternative culturelle montréalaise. Un personnage influencera de façon significative les années suivantes : Bertrand Roux. « J’étais plus un gars de contenant que de contenu ; plus impressionniste que nouvelliste. Je croyais à la création radiophonique au sein d’une radio publique, ce que nous étions dans les faits. »

 

Après un premier refus du CRTC, CIBL se voit enfin accorder une nouvelle licence qui lui permettra de diffuser sur toute la ville. Mais est-ce suffisant ? « Avec l’arrivée de CKUT, puis de CISM et de Radio Ville-Marie, le paysage radiophonique avait déjà changé », convient Jacques Primeau. Les promoteurs de la station ont dû se contenter du 101,5 en guise de prix de consolation, une fréquence que personne ne voulait. « Mais la nouvelle fréquence nous a tout de même permis de progresser », constate Bertrand Roux. Nous avons pu nous renflouer financièrement et avec notre radiothon annuel, nous pouvions créer l’événement. Le radiothon qui a suivi l’entrée en ondes sur Montréal avec Richard Desjardins comme président d’honneur, s’est inséré dans une période de climax dans l’histoire de la station ».

 

Quelques années plus tard, la station propose en 1997 de prendre une nouvelle fréquence, le 95,1, mais essuie un refus du CRTC au profit de la Première Chaîne de Radio Canada. Dans les années qui suivront, CIBL connaîtra des problèmes. « Dans la mouvance antimondialisation et comme dans un mouvement de retour du balancier, j’ai constaté une volonté de retourner aux sources de la radio sociale, de la part de plusieurs producteurs de CIBL, constate Yves Bernard. Cette intention va de pair avec une restructuration interne. » De plus, la station connaît des problèmes financiers importants.

 

« Depuis les dernières années, nous constatons que la station lance des cris d’alarme et nous ne nous en réjouissons pas, constatent en chœur Jacques Primeau et Bertrand Roux. Mais ce dernier demeure optimiste : " Je sens que l’aiguille est en train de remonter. On a toujours fonctionné par cycle de cinq à six ans. J’espère que nous en entamerons un nouveau très bientôt. »

 

« La solution viendra de l’extérieur », soutient Yves Bernard. Selon lui, il est impératif de construire ou reconstruire des alliances avec la communauté et ce, aussi bien au niveau de la programmation que celui du financement. « Générer de nouveaux projets, s’associer à des réseaux existants, développer l’équilibre entre l’interne et l’externe, s’ouvrir davantage vers le milieu... sans cela, point de salut ! »

 

Jacques Primeau va encore plus loin : « La solution pour les radios communautaires urbaines passe par le gouvernement qui est le dernier de nos rendez-vous manqué, les deux autres étant le mouvement syndical qui n’a pas compris l’importance d’un organe comme CIBL et le mouvement coopératif qui ne représente plus ce qu’il était. Appelons-le projet Radio Québec. Il s’agit d’un réseau radiophonique du type Télé-Québec, mais à formule mixte et financé à la fois par le gouvernement et le milieu. Avec ce réseau, on assure une structure efficace autant sur le plan administratif que sur le plan des services d’information avec des correspondants dans toutes les régions. La majeure partie de la programmation devrait demeurer accessible aux bénévoles. On prévoit une structure de participation du milieu. »

Quelle est solution qui sera retenue ? Parions, et espérons, que CIBL, la radio communautaire francophone de Montréal, n’a pas dit son dernier mot !

 

 

Ce qu'ils sont devenus

 

Radio Centre-Ville

 

Hyman Glustein est conseiller en communication, notamment pour le Grand Conseil des Cris (Grand Council of the Crees of Quebec, maintenant appelé the Grand Council of the Crees Eeyou Istchee).

Kevin Cohalan est directeur du Centre d’action bénévole de Montréal. Il a travaillé  dans un organisme communautaire appelé Jonction Saint-Louis (dans le quartier Saint-Louis).

Suzanne Perron travaille au ministère de la Justice du Québec.

Evan Kapetanakis est toujours actif au sein de Radio Centre-Ville; il est l’actuel président du Conseil d’administration.

Mikhaïl Kapellas est toujours actif à Radio Centre-Ville ; il est actuellement à l’emploi d’Hydro-Québec. Il a été consultant dans le domaine de l'informatique industrielle et intervenant communautaire. Il s'est aussi impliqué dans une troupe de théâtre grec  : Le théâtre populaire de l'avenue du Parc. Il a participé à la production de deux pièces sur les ondes de la radio en 1973-1974.

 

 

CIBL FM

 

Pierre Fortin est responsable des communications à la Société du Vieux-Port de Montréal.

Jacques Primeau est gérant d’artistes et président de l’ADISQ.

Yves Bernard est journaliste spécialisé en musique du monde.

Bertrand Roux travaille au service des affaires réglementaires de la Société Radio-Canada.

 

 


 
Histoire de la radio communautaire et universitaire à Montréal
Pionniers de la radio communautaire

Radio communautaire montréalaise (origines et développement)

Introduction

En quelques mots... (citations)

Émissions et intervenants mémorables

Radio Centre-Ville CINQ une radio multiethnique

CIBL une radio francophone et  alternative

Information locale et communautaire Prise de parole des groupes populaires

Militantisme

Spécificité de la radio urbaine (vie urbaine et lien social)

Promotion du contenu francophone et de la  diversité culturelle Sources

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Mise à jour le 7 juillet 2004

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